Caricature faisant croire que la France est impliquée dans un trafic d'organes génitaux en Centrafrique. Image Facebook.

La France est-elle impliquée dans des vols d’organes génitaux masculins en Afrique ?

Création : 8 novembre 2024

Autrice : Lili Pillot, journaliste

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste

Source : Compte Facebook, le 4 novembre

Après la publication d’un article d’un média malien, une rumeur selon laquelle la France orchestrerait un trafic de pénis en République centrafricaine a gagné en ampleur sur Internet. Tout porte à croire qu’il s’agit d’une manipulation d’une vieille croyance africaine par la Russie, pour influer sur la perception de l’Occident en Afrique. 

Les Français seraient-ils en train de perdre leur virilité ? C’est en tout cas ce que croit savoir le média malien Bamada, dans un article publié le 28 octobre et disparu depuis.

Ajoutez à cela un sondage IFOP qui révèlerait qu’un Français sur quatre n’aurait pas eu de rapports sexuels au cours de l’année et vous obtenez une France en perte de vitesse démographique. C’est en tout cas le constat dressé par ce média.

Face à cette grave crise de la reproduction impliquant les hommes, qui “menace la sécurité nationale”, les forces de sécurité française auraient trouvé la solution : injecter “une certaine hormone responsable de l’activité sexuelle”.

Selon l’auteur de l’article, cette hormone serait difficile à synthétiser artificiellement, mais pourrait être obtenue à partir des parties intimes d’un autre homme”. Toujours selon lui, “il aurait été découvert que les hommes centrafricains posséderaient l’un des taux les plus élevés de cette hormone en question”.

Conséquence selon l’auteur : la France volerait des organes génitaux masculins en Centrafrique avant de les envoyer dans un pays voisin et finalement les importer en France par avion. CQFD.

Derrière cette hypothèse, quelque peu farfelue, se cache sans doute une manipulation de la Russie d’une ancienne croyance africaine, remaniée à la sauce anti-occident. Si, comme nous l’a indiqué la journaliste centrafricaine Britney Line Ngalingbo, le lien avec l’ingérence russe n’est pas encore confirmé, il existe des faisceaux d’indices.

Aucun cas de vols de sexe confirmé

Si la croyance de vols de sexes peut paraître invraisemblable depuis la France, elle a des conséquences parfois meurtrières dans plusieurs pays d’Afrique. Des personnes accusées de vols de sexes ont été lynchées en public, comme en 2014, au Burkina Faso.

Récemment, des plaintes visant des ressortissants français ont été enregistrées par la police. Pourtant, parmi les médias de vérification qui ont mené l’enquête, tous concluent qu’aucune réelle victime de vols de pénis n’a été constatée.

Un journaliste de la radio centrafricaine Radio Ndeke Luka explique dans un reportage publié au mois de septembre qu’il n’a constaté aucune preuve de disparitions de pénis dans les commissariats où les alertes ont été données. “Les prétendues victimes affirment à chaque fois qu’elles ont retrouvé leur pénis”, ajoute le journaliste.

Un gynécologue obstétricien à l’hôpital de Bangui, capitale de la Centrafrique, interrogé par le même média confirme que parmi les prétendus victimes qu’il a auscultés, aucune n’avait effectivement perdu son sexe.

Fin juillet, l’hôpital de Bambari, situé lui aussi en Centrafrique, avait publié un compte rendu d’examen des victimes indiquant qu’aucune d’entre elles ne présentait “d’anomalie morphologique de pénis visible« . Auparavant, le média centrafricain avait conclu que les images de disparition de pénis n’étaient pas fiables.

L’ombre d’une manipulation russe

La rumeur selon laquelle des vols ou des rétrécissements d’organes génitaux masculins surviennent dans plusieurs régions africaines ne date pas d’hier. Elle serait apparue dans les années 70, au Nigeria et au Cameroun selon Julien Bonhomme, anthropologue et auteur de l’étudeAlerte aux voleurs de sexe ! Anthropologie pragmatique d’une rumeur africaine”.

À l’époque et pendant plusieurs décennies, l’agresseur désigné est un étranger, mais pas forcément “un blanc”. Par exemple, au Nigeria, Julien Bonhomme identifie les principaux accusés de vols de sexes parmi les Haoussas, une ethnie du nord du Nigeria.

Mais depuis quelques années, l’accusé est devenu “un blanc”. Une évolution de la rumeur qui laisse penser qu’elle a été manipulée, selon le spécialiste. “Il existe un faisceau d’indices qui nous permet de dire que c’est une instrumentalisation de la rumeur par la Russie. D’abord, on retrouve la rhétorique anti-occident. Ensuite, c’est la première fois que des Occidentaux, qui plus est des Français, sont impliqués. Avant, c’était bien sûr déjà des étrangers qui étaient accusés et lynchés, mais des étrangers de pays africains voisins”, explique Julien Bonhomme.

Autre indice, le site internet qui relaie cette rumeur. Comme l’ont souligné Les Observateurs de France 24, Badama.net était déjà identifié par l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire comme un site de relai des thèses prorusses.

Selon un compte d’enquête en sources ouvertes sur X, la page Facebook RCA aujourd’hui, spécialiste de la désinformation au profit de la Russie et hostile à l’Occident, s’est aussi fait le relais de cette théorie.

Illustration / Une manifestation pour exiger le départ des forces militaires de France, au Burkina Faso, en janvier 2023. Olympia de Maismont /AFP

 

Une meilleure connaissance du terrain

La circulation de cette rumeur en Occident a suscité des réactions amusées, notamment sur LinkedIn. Mais la recrudescence de cette théorie accusant les français est sans doute la manifestation d’une très bonne compréhension du terrain africain par la Russie.

“Derrière le côté amusant il y a une information potentiellement inquiétante : celle d’une meilleure compréhension anthropologique des populations par les acteurs de la désinformation russe”, indique, sur le réseau social LinkedIn, Kevin Limonier, maître de conférences en géographie et en études slaves à l’Institut français de géopolitique et spécialiste de la Russie. 

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