La crise “Adrien Quatennens”, entre suspension et absentéisme
Dernière modification : 6 décembre 2022
Auteur : Louis Lesigne, master d’études parlementaires, Aix-Marseille Université et Université du Luxembourg
Relecteurs : Sophie de Cacqueray, maître de conférences en droit public, Aix-Marseille Université
Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Yeni Daimallah et Emma Cacciamani
La “non-participation” d’Adrien Quatennens à l’activité du groupe parlementaire LFI depuis ses déboires judiciaires pour violences conjugales, décidée au sein de ce groupe, constitue une bien curieuse décision sur le plan juridique. L’intéressé n’est pas officiellement sanctionné par son groupe, encore moins exclu de l’Assemblée nationale. En attendant, il est absent des bancs de ladite Assemblée et cette situation est anormale.
L’intergroupe NUPES, et plus encore le groupe La France Insoumise, sont actuellement traversés par une crise interne quant à la situation du député Adrien Quatennens. À la suite de la main-courante déposée par son épouse pour violences conjugales, il s’était mis en retrait de toutes ses fonctions politiques, dont celle de député. Absent de l’Assemblée nationale depuis la rentrée parlementaire, son retour serait suspendu à une décision de son groupe à l’Assemblée nationale. Mais que dit le droit de tout cela ?
Dans la Constitution, le mandat parlementaire est très protégé. Sauf dans le cas d’une condamnation à une peine d’inéligibilité pendant son mandat, un parlementaire ne peut être démis de ses fonctions de représentant de la nation. Il n’appartient ni à ses électeurs, ni à son parti ou son groupe parlementaire de défaire un député ou un sénateur, peu importe son comportement. À l’exception d’une sanction prononcée par l’Assemblée nationale, personne ne peut empêcher un parlementaire de siéger.
Cela ne veut pas dire que le représentant ne peut jamais être sanctionné. Ainsi, les élections sont l’occasion pour les électeurs de sanctionner l’élu à travers leurs votes. S’agissant du groupe à l’Assemblée ou du parti, il existe une discipline interne qui permet à ces structures de maintenir une cohérence dans ses rangs.
LES GROUPES PARLEMENTAIRES SONT DES ASSOCIATIONS AVEC LEUR DISCIPLINE INTERNE
La discipline partisane s’exerce tant au sein des partis que dans les groupes parlementaires. Ces groupes rassemblent souvent des élus d’un même parti dans une des deux chambres. L’un comme l’autre disposent le plus souvent d’un panel de sanctions allant du simple rappel à l’ordre à l’exclusion définitive. Elles doivent être prévues par les règlements intérieurs de ces associations et peuvent faire l’objet d’un recours devant le juge judiciaire. Il contrôle alors la régularité de la sanction au regard du contexte et du règlement interne.
La discipline de groupe permet de maintenir une cohérence politique, notamment par l’existence de votes obligatoires, ou encore un contrôle de la parole publique des élus. Ainsi, la députée Martine Wonner fut exclue du groupe LREM pour avoir voté contre le plan de déconfinement en 2020. Même sanction pour Agnès Thill qui avait prononcé des propos hostiles à la procréation médicalement assistée en 2019.
LIBERTÉ PARLEMENTAIRE VERSUS DISCIPLINE PARTISANE
Le Conseil constitutionnel a consacré le principe de “respect de la liberté des membres du Parlement dans l’exercice de leur mandat” en 2018. Or la discipline partisane semble particulièrement éloignée de cette exigence.
Les groupes exercent une pression sur leurs membres, notamment à travers la discipline partisane. Mais, cette pression n’est pas égale dans tous les groupes. Par exemple, dans la précédente législature, le groupe LREM était réputé exercer une discipline assez stricte, tandis que d’autres étaient connus pour une plus grande souplesse (comme le groupe Libertés et Territoires). Tous les parlementaires ne sont donc pas égaux devant la discipline partisane puisqu’elle varie selon les groupes. Est-ce problématique au regard du principe de liberté des parlementaires ?
En réalité, la menace disciplinaire pesant sur les élus au Parlement doit être relativisée. L’adhésion à un groupe n’est pas obligatoire. L’Assemblée nationale comme le Sénat connaissent des parlementaires “non-inscrits” qui ne sont rattachés à aucun groupe. Chaque parlementaire est libre d’adhérer, ou pas, à un groupe, pourvu qu’il partage les idées formulées par celui-ci. C’est pourquoi, il est politiquement cohérent de se soumettre à la discipline du groupe puisque, in fine, elle sert les idées politiques de tous les membres de ce groupe.
Quand bien même le parlementaire serait définitivement exclu de son groupe, son mandat n’est pas mis en cause. Ce dernier peut toujours rejoindre un autre groupe, ou siéger comme non-inscrit. Reste qu’Adrien Quatennens n’est pas encore officiellement sanctionné par son groupe…
ADRIEN QUATENNENS N’EST PAS SANCTIONNÉ, MAIS “EN RETRAIT”
Si la menace d’une exclusion définitive de son groupe pèse sur Adrien Quatennens, elle n’explique en rien la longue absence d’Adrien Quatennens à l’Assemblée. Après s’être mis “en retrait” volontairement de ses fonctions, dont celle de parlementaire, son groupe a entériné sa décision. En ce sens, le député “ne participera pas à l’activité de notre groupe parlementaire” jusqu’à ce qu’une décision de justice soit rendue à son propos. Une suspension qui ne dit pas son nom en somme, mais pas une exclusion officielle (Adrien Quatennens fait toujours partie, en droit, du groupe LFI).
Reste que cette décision prise par le groupe LFI à l’égard du député ne saurait constituer une excuse pour son absence de l’hémicycle.
QUE RISQUE UN DÉPUTÉ ABSENT ?
Quoi qu’il en soit, depuis l’annonce de son retrait de ses responsabilités politiques, le député a disparu des couloirs de la chambre. Puisque personne ne peut empêcher un parlementaire de siéger, cela relève juridiquement de sa responsabilité.
Il existe, dans le Règlement de l’Assemblée nationale deux dispositions sanctionnant l’absentéisme des députés selon qu’il concerne les réunions en commission permanente ou en séance publique.
En commission, lorsqu’un député est absent plus de deux fois par mois, il s’expose à une retenue du quart de son indemnité de fonction. Cette obligation de présence ne s’applique pas à toutes les réunions, mais seulement à celles du mercredi matin.
En séance publique, c’est l’absence aux scrutins publics qui est sanctionnée. L’absence a plus d’un tiers des scrutins publics d’une session entraîne une retenue du tiers de l’indemnité de fonction sur toute la durée de cette session. La retenue est portée aux deux tiers de l’indemnité si le député a été absent à plus de la moitié des scrutins.
Plusieurs observations sont à faire sur ces sanctions. La première est que la retenue ne concerne qu’une des trois indemnités des députés. La deuxième est la possibilité d’une délégation de vote lorsque l’absence du député est excusée. La troisième est que ces sanctions ne sont pas systématiques, mais au contraire extrêmement rares.
Adrien Quatennens, s’est d’abord fait excuser par certificat médical (il était en “arrêt maladie”). Cela lui avait permis d’échapper à la possibilité de sanctions pour absentéisme et surtout de déléguer son suffrage lors des scrutins publics. Cela explique qu’il ait voté neuf fois en n’étant présent que quatre fois depuis le début de la session ordinaire en octobre dernier.
Depuis la fin de son “arrêt maladie” le député n’est plus excusé. Il s’expose donc à des sanctions financières. S’il existe un précédent de sanction pour absence en commission, l’absence en séance publique n’a jamais été sanctionnée. Cette absence serait-elle l’occasion d’une première condamnation pour absentéisme ?
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