La Commission européenne va-t-elle financer un « écosystème de contrôle » de la pensée, comme l’affirme Virginie Joron ?
Auteur : Alexandre Bialek étudiant en Master 2 Droit européen des Affaires à l’Université Paris-Est Créteil
Relecteurs : Sarah Auclair, doctorante en droit public à l’Université Paris-Est Créteil
Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : Les Surligneurs sont membres de De Facto, le hub français du programme européen EDMO (European Digital Media Observatory), l’Observatoire européen des médias numériques, qui regroupe 14 hubs couvrant les 27 États membres de l’UE ainsi que la Norvège.
Secrétariat de rédaction : Etienne Merle, journaliste
Source : Post X de Virginie Joron, le 3 décembre 2025
La députée européenne RN, Virginie Joron, accuse la Commission de créer un « écosystème de contrôle » à travers la labellisation d’organismes de factchecking européens. Mais l’appel à projets qu’elle cite ne prévoit ni certification, ni contrôle des contenus : il s’agit du financement classique d’un réseau de recherche sur la désinformation, actif depuis 2018.
Une Europe façon Orwell ? C’est ce que suggère Virginie Joron, eurodéputée du Rassemblement national, qui affirme dans un post X publié le 3 décembre que la Commission européenne préparerait un « nouvel écosystème de contrôle » grâce à la certification de fact-checkeurs européens.
L’élue RN présente ce projet comme un dispositif centralisé chargé de délivrer un « label » idéologique aux acteurs et actrices de la vérification de l’information : « Le label de la bien-pensance validée par la Commission« , accuse-t-elle.
Dans son message, Virginie Joron s’appuie bien sur un appel à projets doté de six millions d’euros. Mais le texte qu’elle publie n’a rien à voir avec un « réseau de fact-checkeurs » ou un mécanisme de certification : il s’agit d’un extrait du financement des hubs EDMO, des consortiums de recherche déjà existants, actifs depuis 2018.
Par ailleurs, l’eurodéputée semble faire un rapprochement avec un autre appel, doté de cinq millions d’euros, qui vise cette fois à soutenir un réseau européen de fact-checkeurs. Ce second appel mentionne bien les certifications professionnelles EFCSN ou IFCN, mais uniquement comme critères d’indépendance — en aucun cas comme un label délivré par la Commission européenne elle-même.
C’est de cette confusion que naît l’idée d’un « écosystème de contrôle ». Or, lorsqu’on remet chaque texte à sa place, le constat est clair : l’appel à projets qu’elle diffuse ne crée aucun nouvel organe de contrôle, ne prévoit aucune certification et encore moins un système de validation des contenus journalistiques.
Il s’agit simplement du renouvellement du financement de l’European Digital Media Observatory (EDMO), un réseau européen de recherche et de veille sur la désinformation, créé en 2018. Il rassemble chercheurs, journalistes, experts des médias et fact-checkeurs à travers l’Union. En France, Les Surligneurs en font d’ailleurs partie, aux côtés d’autres acteurs comme l’AFP, France Info, le CLEMI ou encore la Fondation Descartes.
Virginie Joron a parfaitement le droit de critiquer l’existence d’EDMO, voire de souhaiter sa suppression. Mais pour que le débat ait lieu, encore faut-il partir d’une description fidèle de ce que finance réellement la Commission européenne.
Ce que prévoit réellement l’appel à projets
L’appel à projets détaille comment les futurs bénéficiaires doivent contribuer au fonctionnement du réseau EDMO : participer à sa gouvernance, à l’élaboration de sa stratégie, aux activités communes (analyse des tendances de désinformation, enquêtes, fact-checking, projets éducatifs) et aux événements du réseau.
Il insiste aussi sur un point essentiel : l’adhésion au cadre d’indépendance d’EDMO, conçu précisément pour maintenir les membres à distance de toute ingérence publique — Commission européenne comprise. Le rôle de ces hubs n’est pas de surveiller ou de certifier qui que ce soit, mais de produire de la recherche, de collaborer scientifiquement et de mieux comprendre les mécanismes de désinformation, notamment en période électorale.
En clair, ces missions relèvent de la recherche, de la collaboration scientifique et de la production de connaissances sur la désinformation. EDMO n’est donc ni une autorité, ni un régulateur, ni un organisme de contrôle. C’est un réseau de recherche et de veille.
Ce qui n’est pas prévu par les textes
Par ailleurs, aucun passage ne mentionne un « label » ni une certification de fact-checkeurs. L’Union européenne n’a d’ailleurs aucune compétence pour valider ou invalider les contenus journalistiques. Les traités garantissent la liberté de la presse et l’indépendance éditoriale, et aucune disposition n’autorise la Commission à valider ou invalider des contenus journalistiques. Autrement dit, la Commission ne peut ni décider ce qui est vrai ou faux, ni décider qui est un bon ou un mauvais fact-checkeur.
Et Les Surligneurs peuvent en témoigner : jamais la Commission n’a tenté d’influer, de loin ou de près, sur nos contenus réalisés dans le cadre d’EDMO. En revanche, comme tout organisme bénéficiant d’un financement européen, les équipes impliquées doivent chaque année rendre des comptes sur l’usage de l’argent public : justifier leurs dépenses, démontrer que les actions menées correspondent bien au programme financé, tenir une comptabilité dédiée et répondre aux éventuels audits.
En d’autres termes, l’Union vérifie si l’argent des citoyens européens est correctement utilisé, pas ce que les participants écrivent ou publient.
Enfin, le financement annoncé ne crée pas non plus un « nouvel écosystème » : il renforce un réseau existant depuis huit ans. Les six millions d’euros représentent le budget global de l’appel à projets, destiné à financer plusieurs consortiums sélectionnés sur des critères scientifiques et d’indépendance, comme c’est le cas pour de nombreux programmes européens.
Dans ce cadre, Les Surligneurs ont perçu près de 30 000 d’euros l’an passé — une fraction du budget total, comparable à ce que reçoivent d’autres acteurs du réseau pour mener des activités de recherche, d’analyse et d’éducation aux médias.
Autrement dit, il ne s’agit ni d’un financement centralisé ni d’un super-organisme de contrôle : seulement de la contribution habituelle de l’Union européenne à un projet collaboratif, répartie entre plusieurs équipes indépendantes pour soutenir leurs travaux.
