La Commission de déontologie de la ville de Paris dédouane Anne Hidalgo pour son voyage en Polynésie française
Dernière modification : 14 novembre 2023
Auteur : Jean-Paul Markus, Professeur, Université Paris-Saclay (Laboratoire VIP)
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani
Source : Le Parisien, 10 nov. 2023
Si le risque judiciaire lié au voyage d’Anne Hidalgo en Polynésie semble très hypothétique, une chose est sûre : la commission de déontologie de la ville de Paris n’a pas le pouvoir de “blanchir” un élu.
La polémique fait rage : le voyage officiel d’Anne Hidalgo, maire de Paris, en Polynésie française, avec son directeur de cabinet et deux de ses adjoints, est évidemment l’occasion de postures politiques, mais il faut bien admettre que la communication autour de ce voyage, ainsi que ses modalités et son but même, posent question.
Pour cette raison, à son retour, Anne Hidalgo a saisi la “Commission de déontologie de la Ville de Paris”, laquelle n’a pas trouvé à redire : “la Ville de Paris n’a pas financé sur des fonds publics l’activité personnelle et privée de la Maire de Paris et elle n’a pas subi de préjudice”. Expliquons d’abord ce qu’est cette commission, avant de relativiser sa position.
La Commission de déontologie ne donne que des avis, seul le juge dédouane
Le Commission de déontologie de la Ville de Paris est l’organe mis en place par la ville de Paris en 2022 en vertu de l’article L.1111-1-1 du code général des collectivités territoriales, qui oblige les communes, départements, régions, à créer une fonction de “référent déontologue chargé de (leur) apporter tout conseil utile au respect des principes déontologiques”, s’agissant notamment du comportement des élus locaux. Le même article L. 1111-1-1 crée une “charte de l’élu local”, qui prévoit en particulier que ce dernier “s’engage à ne pas utiliser les ressources et les moyens mis à sa disposition pour l’exercice de son mandat ou de ses fonctions à d’autres fins”.
Compte tenu du nombre d’élus et de collaborateurs d’élus de la ville de Paris, un référent déontologue ne suffisait pas : il fallait une commission, dont la composition figure sur le site de la ville : magistrats honoraires ou en poste, ancien député, un professeur des universités.
En tant que référent déontologue, cette commission, désignée par le Conseil municipal, “apporte tout conseil utile au respect des principes déontologiques” (article L. 1111-1-1). Elle peut donc être saisie en amont d’un projet (ici un projet de voyage) pour en examiner la conformité avec les principes déontologiques. Elle peut aussi être consultée a posteriori, afin de s’assurer de cette conformité, et éventuellement d’apporter des correctifs à une action. Ainsi, le code de déontologie de la ville de Paris prévoit que les élus “doivent déclarer à la Commission de déontologie les voyages effectués dans le cadre de leurs mandats”, mais cette déclaration est “annuelle”, autrement dit globale et a posteriori.
La commission ne “blanchit” donc rien ni personne aux yeux de la loi. Seul le juge, éventuellement saisi, en décide.
Voyages officiels et intérêt de la ville de Paris
La ville de Paris s’est voté un code de déontologie, dans lequel on trouve le principe suivant concernant les voyages : tout voyage doit être justifié par un “intérêt lié directement à la ville de Paris et/ou aux mandats ou fonctions exercées”. Il doit en outre être validé (donc en amont) au Bureau d’appui aux élus de la ville, “éventuellement au référent déontologique”, qui est donc la commission de déontologie. Ce texte ne fait que rappeler un principe bien plus général selon lequel les dépenses publiques ne sauraient porter sur autre chose que des missions d’intérêt général en lien avec la mission de l’institution. Au niveau d’une mairie, c’est le maire qui, en tant qu’ordonnateur des dépenses (c’est-à-dire en tant qu’autorité habilitée à autoriser les dépenses), en apprécie l’opportunité sous le contrôle du juge financier et des conseillers municipaux.
Risque judiciaire très incertain
Il est reproché à la maire d’avoir mis à profit un voyage officiel pour y inclure un voyage privé, mais cela n’a eu pour effet que de modifier les dates des billets d’avions, sans incidence notable sur le montant de la dépense. La pratique est usuelle, d’autant que la maire aurait elle-même payé son voyage de retour à Paris. Le délit de détournement de fonds publics (article 432-15 du code pénal), qui fait tout de même encourir à son auteur jusqu’à dix ans d’emprisonnement et un million d’euros d’amende, ne semble donc pas constitué ici, contrairement à ce qu’en dit le conseiller de Paris David Alphand, et sous réserve d’autres faits qui n’auraient pas été dévoilés.
Il existe une autre infraction, méconnue, à l’article L. 131-10 du code des juridictions financières : toute personne à la tête d’une collectivité publique qui “cause à cet organisme un préjudice financier significatif (…) par des agissements manifestement incompatibles avec les intérêts de celui-ci, par des carences graves dans les contrôles qui lui incombaient ou par des omissions ou négligences répétées dans son rôle de direction est passible des sanctions” infligées par la Cour des comptes : une amende allant jusqu’à l’équivalent de six mois de rémunération annuelle (article L. 131-16 du même code). Reste que la notion de “préjudice financier significatif” pour la collectivité publique concernée s’apprécie “en tenant compte de son montant au regard du budget de l’entité” (article L. 131-9). On l’aura compris, au regard des quelque 10 milliards d’euros de budget de la ville de Paris, le voyage d’Anne Hidalgo ne représente qu’une goutte d’eau.
Un risque politique certain
S’il n’existe pas de sanction juridique s’agissant des dépenses supposées inutiles d’un maire au détriment des contribuables locaux, c’est parce qu’il existe une sanction politique : devant les élus municipaux, le maire doit justifier ses dépenses et leur résultat. Il appartient donc à Anne Hidalgo de démontrer devant les élus parisiens les retombées futures de cette visite en termes de coopération culturelle, ou sportive avec les territoires concernés (puisque c’était le but affiché du voyage). Les élus municipaux, on l’ignore parfois, ont la possibilité de bloquer tout projet du maire y compris le budget en refusant de le voter, ce qui peut aller jusqu’à rendre la commune ingérable et conduire alors le gouvernement à dissoudre le conseil municipal par décret (code général des collectivités territoriales, article L. 2121-6). On en est toutefois bien loin en l’occurrence.
Enfin, la sanction politique ultime est le vote. Dans une démocratie locale, ce sont les électeurs et non les juges qui décident de l’opportunité d’une dépense, pourvu qu’elle soit légale.
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