Journalistes, d’où sortent vos “experts” ?
Dernière modification : 20 juin 2022
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit à l’Université Paris-Saclay
TRIBUNE – Les controverses entre épidémiologistes, infectiologues et autres « virusologues » font rage autour des remèdes supposés du professeur Raoult et d’autres préconisations qui laissent les profanes perplexes et accroissent l’anxiété ambiante, mère de tous les complotismes. Voici un exemple abject de ce qu’engendre l’opacité, avec ce message de Gilbert Collard sur Youtube, qui l’air de ne rien dire, allie antisémitisme, complotisme et zèle hypocrite. Si de tels messages ne trompent que des esprits déjà bien ankylosés, il n’empêche que vous les journalistes avez une responsabilité, celle de vérifier le CV des « experts » que vous interrogez et de faire savoir « pour qui ils roulent » le cas échéant.
Certes, nous ne sommes plus au temps du nuage de Tchernobyl stoppé aux frontières de l’Est, ni du professeur Pellerin qui discrédita sa profession en bon soldat du gouvernement pour ne pas faire paniquer la population française et ne pas gâcher les salades poussées en Alsace alors que l’Allemagne voisine jetait les siennes, le tout avec la bienveillance de la plupart des journalistes. La profession de journaliste s’est affirmée comme un véritable rempart contre les fadaises et propos biaisés, ce que confirme sa charte de déontologie : « un journaliste digne de ce nom (…) tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique (…) ; la non vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles (…) ; Exerce la plus grande vigilance avant de diffuser des informations d’où qu’elles viennent. »
Or que visionne-t-on à longueur d’antenne ? Des « experts » en tout et n’importe quoi, s’exprimant sans aucune vérification de leurs sources ni de leur compétence technique, encore moins de leurs éventuels conflits d’intérêts. Rappelons pourtant qu’après la crise de la grippe H1N1, on a fini par se rendre compte que des experts mêmes de l’OMS étaient au service de l’industrie du médicament.
Selon l’article L1452-3 du code de la santé publique. « Les personnes invitées à apporter leur expertise dans les domaines de la santé et de la sécurité sanitaire au ministre chargé de la santé, aux commissions et conseils siégeant auprès des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, aux instances collégiales (…) sans être membres de ces commissions, conseils ou instances déposent au préalable une déclaration d’intérêts. »
Selon l’article R4127-13 issu du code de déontologie des médecins, « Lorsque le médecin participe à une action d’information du public de caractère éducatif et sanitaire, quel qu’en soit le moyen de diffusion, il doit ne faire état que de données confirmées, faire preuve de prudence et avoir le souci des répercussions de ses propos auprès du public. Il doit se garder à cette occasion de toute attitude publicitaire, soit personnelle, soit en faveur des organismes où il exerce ou auxquels il prête son concours, soit en faveur d’une cause qui ne soit pas d’intérêt général. ».
N’importe quelle revue médicale fait signer des déclarations d’intérêts à ses contributeurs, alors même que son lectorat est censé savoir prendre du recul par rapport à ce qui s’écrit dans le domaine considéré. Nous-mêmes aux Surligneurs, nous nous imposons une déclaration d’intérêt lorsque nous analysons les promesses électorales pour le compte de la presse, lorsque certains d’entre nous ont un engagement politique. Et face à un risque vital le public profane n’aurait pas le droit de savoir quel expert travaille pour qui et comment cela influence ses propos ?
Dans les médias d’information, cette rigueur n’est pas encore de mise partout, et on peut même observer une dégradation : la multiplication des chaines d’information, et celle corrélative du nombre d’ « experts » chargés de combler du temps d’antenne, alimente les discours contradictoires sans aucune garantie de compétence ou d’honnêteté. Il ne s’agit pas de stigmatiser les experts – du moins les vrais – mais au contraire de leur rendre leur crédibilité, leurs lettres de noblesse.
Jean-Paul Markus est professeur de droit public à l’université Paris Saclay, chercheur au laboratoire Versailles Saint-Quentin Institutions Publiques (VIP). Il a co-dirigé le commentaire du Code de la santé publique, Dalloz, 2016. Jean-Paul Markus ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son poste universitaire.
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