Crédits photo : European Parliament (CC 2.0)

Jordan Bardella : « Je souhaite […] réserver les allocations familiales aux familles françaises »

Création : 15 mai 2024

Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Aya Serragui

Source : RTL Matin, 14 mai 2024

En l’état actuel de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, supprimer les allocations familiales aux étrangers du seul fait de leur nationalité est contraire à la Constitution. Il reste donc à modifier la Constitution.

Jordan Bardella, président du Rassemblement national et tête de liste du même parti pour les élections européennes, veut réserver les allocations familiales aux Français. Une proposition qui risque d’être déclarée inconstitutionnelle si elle devait être mise en œuvre telle quelle.

Les étrangers cotiseraient pour un système dont ils ne bénéficieraient pas

Nous avions déjà surligné Eric Zemmour et Jordan Bardella à ce sujet. La proposition de supprimer les allocations familiales pour les étrangers pose problème s’agissant des allocations dites « contributives » (dont les allocations familiales), c’est-à-dire versées en contrepartie d’une cotisation payée par le bénéficiaire. Réserver ces allocations aux Français implique que les personnes étrangères, qui versent des cotisations, financeraient un système dont elles ne bénéficieraient pas.

En revanche, les allocations non contributives relèvent d’un mécanisme de solidarité et pas d’assurance sociale. Elles ne sont pas conditionnées à une cotisation préalable du bénéficiaire. On peut donc imaginer que les étrangers ne soient pas traités de la même manière à l’égard de ces allocations, mais le Conseil constitutionnel veille à ce que les étrangers ne soient pas écartés au seul motif qu’ils sont étrangers. Dans une décision de 1990, il se prononçait sur une allocation du fonds national de solidarité pour certaines personnes âgées devenues inaptes au travail et privées du minimum vital. L’allocation en question était soumise par la loi à un délai de résidence sur le territoire français, et surtout réservée aux seuls étrangers européens ou couverts par des conventions internationales de réciprocité. Selon le Conseil constitutionnel, cette “exclusion des étrangers résidant régulièrement en France du bénéfice de l’allocation (…) méconnaît le principe constitutionnel d’égalité”. Tout n’est donc pas permis : il faut une raison objective pour justifier la différence de traitement entre bénéficiaires français et étrangers, qui ne reposerait pas sur la seule nationalité.

La solidarité nationale s’applique à tous

Selon l’article L111-1 du code de la sécurité sociale, “la sécurité sociale est fondée sur le principe de solidarité nationale, elle assure, pour toute personne travaillant ou résidant en France de façon stable et régulière, la couverture des charges de maladie, de maternité et de paternité ainsi que des charges de famille et d’autonomie et garantit les travailleurs contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leurs revenus”. Cette garantie accordée par la loi s’exerce par l’affiliation de chaque personne à un ou plusieurs régimes de protection sociale obligatoire. Cette solidarité n’est donc pas “nationale” au sens de “réservée aux nationaux”, mais une solidarité de la Nation à l’égard de toute personne résidant en France face aux risques sociaux.

Or, cette protection est garantie par la Constitution : le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, prévoit que “tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence”, sans aucun critère de nationalité. Dans sa décision du 11 avril 2024, le Conseil constitutionnel a invoqué le Préambule pour rejeter la proposition de référendum d’initiative partagée (RIP) des Républicains, qui souhaitaient durcir l’accès aux logements sociaux et aux prestations familiales pour les étrangers.

Ainsi, si certaines restrictions ont pu être admises, comme des conditions de résidence en France pendant une certaine période, la suppression totale des allocations familiales sur le seul fondement de la nationalité serait contraire à la Constitution, sauf à modifier cette dernière.

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