Jordan Bardella et l’inflation : “il faut augmenter les salaires”
Auteur : Pascal Caillaud, chargé de recherche CNRS en droit social, Laboratoire Droit et changement social, Nantes Université
Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani et Yeni Daimallah
Source : France Inter, Questions politiques, 12 mars 2023, 36’15’’
“Il faut augmenter les salaires”… C’est un peu vague ! Si l’augmentation de la rémunération des agents publics ou du SMIC relève des pouvoirs publics, celle des autres salaires de la très grande majorité des employés dépend de la négociation collective de branche et d’entreprise. Tout au plus, l’État peut les inciter à négocier.
Lors de “Questions Politiques” sur France Inter, le 12 mars 2023, Jordan Bardella, président du Rassemblement national, était invité à expliquer ses propositions visant à rendre du pouvoir d’achat aux français. En plus de mesures sur la TVA et le marché de l’énergie, Jordan Bardella ajoute “il faut augmenter les salaires”.
Du verbe “falloir”, nous précisent les dictionnaires de la langue française, “il faut” indique l’obligation, la nécessité, le caractère inévitable de quelque chose, mais l’expression évite à celui ou celle qui l’utilise de s’impliquer personnellement ou de désigner qui doit agir et comment. ”Il faut augmenter les salaires” … mais à qui s’adresse cette injonction du président du RN qui ne s’appesantit pas sur le sujet ?
Peut-être parce que la réponse à la question des salaires et de leur montant n’est pas aussi simple que Jordan Bardella le sous-entend : elle relève de différents acteurs dont le principal n’est pas l’État mais les partenaires sociaux.
L’État ne peut qu’augmenter le SMIC et les salaires du secteur public, pas les autres salaires
Dans la fonction publique, la rémunération des 5.6 millions d’agents est directement définie par l’État. Son socle repose sur l’appartenance de l’agent à un corps, un grade, un échelon auquel est associé ce qu’on appelle un indice. Le salaire brut du fonctionnaire (appelé “traitement annuel”) est ensuite calculé en multipliant cet indice par la valeur de son point. C’est ce point qui est fixé par l’État, et dont la dernière augmentation date d’un décret de juillet 2022.
À l’inverse, pour les salariés du secteur privé, l’État a une compétence limitée au seul salaire minimum. Depuis les lois du 11 juillet 1950 créant le SMIG et du 2 janvier 1970 le transformant en SMIC, l’État ne peut intervenir que sur le montant de ce dernier. Ce salaire minimum s’impose à tout employeur, et le non-respect est puni d’une amende de 1 500 euros (l’amende étant appliquée autant de fois qu’il y a de salariés rémunérés dans des conditions illégales). Le SMIC peut être augmenté par le gouvernement dans trois cas.
Selon le Code du travail, il est automatiquement revalorisé selon l’évolution de l’indice mensuel des prix à la consommation, calculé chaque mois par l’Insee (et publié au Journal Officiel). Ainsi, chaque année, au 1er janvier, une augmentation du SMIC tient compte de l’évolution annuelle de cet indice. De plus, lorsque, en cours d’année, cet indice des prix à la consommation subit une hausse d’au moins 2 % par rapport à l’indice constaté au 1er janvier de l’année, un arrêté doit relever le SMIC dans la même proportion le mois suivant. Mais, au-delà de ces obligations, le gouvernement a également toute liberté pour décider d’une revalorisation supplémentaire du SMIC. C’est ce qu’on appelle dans le langage courant le “coup de pouce” au SMIC. Le dernier coup de pouce a eu lieu il y a 11 ans . Cette question nous avait d’ailleurs déjà conduit à rappeler que l’augmentation légale et automatique liée à l’inflation, n’est en rien un “coup de pouce”, comme l’affirmait Elisabeth Borne qui tendait à mélanger ces trois cas de figure.
Reste qu’une augmentation du SMIC par le gouvernement concerne environ 2.5 millions de salariés privés soit 14.5% d’entre eux. Et pour les 85.5% qui restent ?
Pour les autres salaires, l’État n’a pas la main
Selon le Code du travail, il appartient aux organisations syndicales et patronales représentatives de chaque branche professionnelle (métallurgie, emploi à domicile, bâtiments, banque, hôtellerie-restauration… il y a plus de 200 branches) de négocier les classifications professionnelles (l’échelle ou la grille hiérarchique des emplois de la branche) et les rémunérations minimales pour chaque catégorie d’emplois de cette classification. Ces classifications sont d’ailleurs obligatoires pour qu’une convention collective soit “étendue”, c’est-à-dire applicable à toutes les entreprises de la même branche.
D’autre part, ces branches professionnelles doivent négocier tous les ans sur les salaires et tous les cinq ans sur ces fameuses classifications. Ajoutons à cela que, dans les entreprises, la rémunération, notamment les salaires effectifs, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée dans l’entreprise, doit également faire l’objet d’une négociation annuelle obligatoire, sauf si un accord a prévu une autre durée.
Nuance importante, obligation de négocier ne signifie pas obligation de conclure un accord : en la matière, les partenaires sociaux sont libres. Il s’agit de ce que les juristes appellent une “obligation de moyens”, pas de “résultat”. Si les négociations bloquent, il n’y a pas d’augmentation. C’est ainsi que six années après l’adoption de l’euro, la grille salariale de l’hôtellerie-restauration était toujours en libellée francs…
Augmenter le SMIC n’entraîne pas l’augmentation automatique de tous les salaires
Depuis 1970, il est interdit aux partenaires sociaux d’introduire dans les accords une indexation automatique des salaires sur le SMIC,de la même façon que, depuis 1982 , est interdite l’indexation automatique des salaires sur l’inflation. Certes, ces interdictions peuvent être abrogées par le législateur, mais sans garantir que les partenaires sociaux réintroduisent de telles clauses dans le contenu de leurs accords.
L’État peut modifier la loi, mais c’est risqué.
Que reste-t-il comme possibilité à Jordan Bardella ? Il peut bien sûr modifier la loi dans le sens d’une augmentation. Mais il n’est pas certain du tout que le Conseil constitutionnel admettrait cette entorse à la liberté d’entreprendre, qui est tout de même constitutionnelle.
Alors inciter à négocier ?
S’il ne peut contraindre les partenaires sociaux à augmenter les salaires, il peut les réunir au niveau national interprofessionnel pour les inciter à négocier comme ce fut le cas en 1968. Le “Constat de Grenelle” ou “Projet de protocole d’accord” du 27 mai 1968 prévoyait ainsi une augmentation des salaires réels de 7 à 10 %. Mais ce texte n’était pas un accord formalisé : aucune des parties présentes ne l’a paraphé, ni reconnu comme tel. Ce sont les branches qui en ont alors répercuté les dispositions par une négociation interne de leurs salaires minima.
Contacté, Jordan Bardella n’a pas répondu à notre sollicitation.
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