Jeux olympiques : le spectre d’une secte chinoise derrière une fausse information sur les cartes bancaires françaises
Auteurs : Etienne Merle, journaliste
Relectrice : Lili Pillot, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Antoine Mauvy, étudiant en droit à Paris II Panthéon-Assas
Source : Compte Facebook, 20 avril 2024
De nombreuses publications sur les réseaux sociaux affirment que les cartes bancaires de « millions de Français seront désactivées » pendant les Jeux olympiques de Paris. Derrière cette fausse information, un journal lié à un mouvement sectaire chinois.
Imaginez-vous un instant assis dans une brasserie de la capitale. Le repas, quoiqu’un peu cher, est délicieux et le dessert exquis. Mais voilà qu’au moment de payer : patatras ! Votre carte bancaire ne passe pas.
Pourtant, votre compte en banque est plein à craquer. Que se passe-t-il ? Un serveur en costume et tablier vous explique, impatient : « Ce sont les Jeux olympiques, les cartes bancaires de million de Français ont été désactivées ». Et vous voilà dans l’embarras !
Ce petit conte, imaginé par Les Surligneurs, est inspiré de multiples publications sur les réseaux sociaux et plus particulièrement Facebook. De nombreux internautes s’inquiètent d’une désactivation massive des cartes bancaires des citoyens français pendant les Jeux olympiques.
La raison ? « Donner l’exclusivité des paiements bancaires à la société amerloque VISA« , s’agace l’administrateur de la page « Sauvons la France« , où nous avons trouvé l’une de ces publications accusatrices. « LES JEUX OLYMPIQUES DE LA MAGOUILLE BANCAIRE !« , écrit-il. « C’est tellement ahurissant qu’il faut le lire deux fois pour le croire !« .
Cette information a été partagée tantôt par des groupes proches de l’extrême-droite, tantôt par des groupes proches de l’extrême-gauche. Leur point commun ? Vouer un farouche mépris pour les États-Unis, qu’ils considèrent comme une menace pour les intérêts français.
L’autre point commun de ces groupes, c’est l’article à l’origine de cette information. Un mystérieux journal lié… à une secte chinoise. Mais nous y reviendrons.
Pas de désactivation
Vérifions d’abord la véracité de ces affirmations. Quelques clics sur internet suffisent pour s’apercevoir qu’aucune carte bancaire ne sera désactivée durant les JO de Paris.
Les articles de presse foisonnent à ce sujet. En réalité, un partenariat entre le Comité international olympique (CIO) et Visa, permet à l’entreprise américaine de détenir un monopole durant l’événement (et uniquement pour les paiements sur les sites des JO). Les terminaux, fournis par l’entreprise américaine, ne seront compatibles qu’avec les cartes de la même enseigne.
Il faudra donc s’adapter pour les titulaires de cartes MasterCard pour payer dans les boutiques et buvettes des Jeux olympiques. Soit en liquide, soit en se procurant une carte visa.
Une situation que chacun est évidemment libre de critiquer, mais qui n’a rien de nouveau. Visa est partenaire des Jeux olympiques depuis 1986 et est le seul moyen de paiement dématérialisé accepté à chaque édition, rappelle Le Figaro.
Le sujet avait d’ailleurs fait réagir la presse britannique qui s’en plaignait déjà pour les JO Londres en 2012. Mais de là à parler de « désactivation » ou de « magouille« , il y a un fossé.
Mouvement spirituel
Au-delà la véracité de l’information et la confusion savamment entretenue autour de ce sujet, c’est l’origine de cette « fake news » qui interpelle.
De nombreux internautes s’appuient sur un article d’un journal peu connu du grand public : The Epoch Times. Son site, qui vous contraint à entrer votre adresse mail pour pouvoir lire les articles, à une origine… chinoise. Et plus précisément un obscur mouvement spirituel : le Falun Gong, comme l’ont déjà raconté nos confrères de RFI.
Comme l’indique le site internet du média, le journal a été créé par des dissidents du régime communiste : « Après avoir assisté au massacre de la place Tiananmen et à la persécution du Falun Gong, nos fondateurs ont décidé de lancer la version chinoise d’Epoch Times afin de publier des informations libres de la censure« , est-il inscrit.
« Pouvoirs surnaturels »
À sa création en 1992, le Falun Gong, nom officiel Falun Dafa, n’était qu’une sorte de gymnastique sans objectif politique particulier, comme l’ont décrit nos confrères de Numerama. Mais progressivement, le phénomène va se transformer en mouvement spirituel, voire sectaire. À sa tête, on trouve un enseignant, Li Hongzi, l’un des principaux opposants au gouvernement communiste chinois.
Sur son site internet, en plus de prodiguer des conseils de méditation et d’exercices physiques, la biographie de cet homme affirme qu’il « possède d’immenses pouvoirs surnaturels dès l’âge de huit ans », comme le raconte David A. Palmer, anthropologue canadien spécialisé sur les religions et qui a étudié le mouvement.
Sur ce même site web, on trouve de nombreux témoignages d’adeptes du mouvement qui auraient été miraculeusement soignés de tumeurs par leur Maître, Li Hongzi. Désormais, en plus de son mouvement, l’opposant politique déploie son influence à travers son journal, l’Epoch Times. Ce média a d’ailleurs été plusieurs fois épinglé aux États-Unis et en France pour avoir publié de fausses informations, notamment pendant la crise de la covid.
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