Jeux Olympiques de Paris 2024 : Non, les boxeuses Imane Khelif et Lin Yu-Ting ne sont pas “des hommes”
Autrice : Lili Pillot, journaliste
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Antoine Mauvy, étudiant en droit à l’université Paris II Panthéon-Assas
Source : Compte Instagram, 29 juillet 2024
Sur les réseaux sociaux, des posts dénoncent la participation de deux “hommes boxeurs” dans la catégorie femme aux JO de Paris. Sauf que les personnes visées, Imane Khelif et Lin Yu-Ting, sont des femmes. Elles avaient été exclues du championnat du monde 2023 après avoir échoué à des “tests de féminité”. Explications.
“Deux hommes qui se disent femmes boxeront dans la catégorie féminine durant #Paris2024. Imane Khelif et Lin Yu-Ting. Cautionner cela, c’est faire un doigt d’honneur aux femmes qui devront les affronter. LA HONTE”.
Ces mots, ce sont ceux de Marguerite Stern sur X, ancienne Femen désormais engagée dans la lutte contre ce qu’elle qualifie de “transactivisme”. Régulièrement, elle poste du contenu pour critiquer la participation de femmes transgenres à des compétitions de sport féminines. Ce qui fait d’ailleurs souvent l’objet de polémiques et de fake news, comme nous l’avons déjà surligné.
Sauf que cette fois-ci, Marguerite Stern s’est trompée. Elle reconnait, au moins partiellement, avoir fait une erreur : “MEA CULPA. Imane Khelif et Lin Yu-Ting […] seraient peut-être intersexes”, écrit-elle dans un nouveau tweet le 28 juillet, tout en supprimant le précédent.
Ce qui n’a pas empêché un compte Instagram de publier la fausse information telle quelle, le 29 juillet. Sauf que les deux athlètes concernées, l’une algérienne et l’autre taïwanaise, sont bien des femmes reconnues comme telles juridiquement. C’est suffisant aux yeux du CIO pour qu’elles concourent chez les femmes.
La décision trouble d’une fédération proche du gouvernement russe
Tout part de l’exclusion des deux sportives lors du championnat du monde de boxe de New Delhi, en mars 2023. Suite à des analyses, la décision est prise par l’International boxing association (IBA) de ne pas les faire concourir. Contrairement à ce qu’indiquait la bio de l’athlète (supprimée depuis) sur le site internet du Comité International Olympique (CIO), l’IBA assure que les deux boxeuses n’ont “pas subi d’examen de testostérone mais ont été soumis à un test distinct et reconnu, dont les détails restent confidentiels.”
À l’époque, le président de l’IBA, le russe Umar Kremlev, avait été plus prolixe, quitte à rompre le secret médical. Il avait déclaré, auprès de l’agence de presse russe, TASS, que les deux athlètes ont des “chromosomes XY”, une particularité génétique qui les rapprocheraient plus de la biologie d’un homme. Certains soupçonnent une décision idéologique, du fait de la proximité du président avec le gouvernement russe, ouvertement transphobe.
Cette exclusion en 2023 crée une première polémique : la boxeuse algérienne Imane Khelif réagit personnellement dans une vidéo sur Facebook “évoquant un grand complot”, selon Libération. Elle-même parle d’une injustice qui lui a été faite dans ce post de septembre 2023.
Seulement voilà, quelques mois après, l’IBA est exclue du cercle des fédérations affiliées au CIO pour mauvaise gouvernance. Depuis plusieurs années, il était reproché à l’instance “des problèmes de gouvernance, des scandales d’arbitrage à répétition ou encore sa dépendance financière persistante au géant russe Gazprom”, écrit Ouest-France.
Avec l’exclusion de l’IBA ce ne sont plus les mêmes critères de sélection qui s’appliquent pour participer aux Jeux Olympiques. En effet, la décision d’écarter les deux boxeuses est loin de faire l’unanimité.
Détermination par le droit selon le CIO
Aujourd’hui, face aux polémiques, le CIO choisit de soutenir les athlètes et d’assumer son choix de les autoriser à concourir. Le 30 juillet, en conférence de presse, Mark Adams fait savoir que ces athlètes “sont éligibles selon les règles de la Fédération établies pour les JO de 2016 et appliquées aux JO de Tokyo, qui leur ont permis de concourir en tant que femmes, ce qu’on soutient totalement”.
Le 1ᵉʳ août, le même jour où l’Italienne Angela Carini abandonne son combat face à Imane Khelif et où la polémique redouble d’intensité, le CIO réaffirme sa position dans un communiqué. “Tous les athlètes participant au tournoi de boxe des Jeux olympiques de Paris 2024 respectent les règles d’admissibilité et d’inscription à la compétition, ainsi que toutes les règles médicales applicables fixées par l’Unité en charge de la boxe pour Paris 2024 [organisation ad hoc remplaçant l’IBA pour l’organisation des épreuves de boxe aux JO, ndlr]”, écrit l’instance. Ces règles sont celles de la détermination du genre en fonction du statut juridique et du sexe indiqué sur les papiers d’identité.
Si le CIO se positionne ici assez clairement pour trancher la question, ce n’est pas toujours le cas. “Pendant très longtemps, les fédérations ont été indépendantes pour trancher dans ce genre de situations”, nous raconte Julie Mattiussi, maîtresse de conférences à l’Université de Strasbourg et spécialiste de la question du genre, notamment dans le sport.
Le 16 novembre 2021, le CIO choisit de ne pas prendre position et laisse aux fédérations le choix de trancher qui pourra concourir dans la catégorie “femme” et dans la catégorie “homme”. Conséquence : “On a des règles très différentes dans chaque sport”, ajoute l’experte.
À la fédération de natation par exemple, la règle est celle du taux de testostérone. Pour concourir dans la catégorie femme, la personne doit se situer en dessous de la barrière des 2,5 nmol/litre de sang. Et à l’IBA donc, la règle serait celle de la détermination chromosomique, à en croire la déclaration du président.
La testostérone, pas forcément déterminante
Mais ces critères sont-ils pertinents pour déterminer si, in fine, une femme est plus forte qu’une autre ? Même au sein de la communauté scientifique, les avis divergent. “La pertinence même de la testostérone en tant que critère fiable de démarcation entre les sexes féminin et masculin suscite les doutes de la communauté médicale”, écrit Pierre Michel, docteur en droit et enseignant-chercheur à l’Université d’Aix-Marseille.
Rappelons que les hommes produisent de la testostérone en plus grande quantité. Mais Joëlle Wiels, directrice de recherche au CNRS, le souligne : “tout le monde produit de la testostérone”. Et il existe même plusieurs types de cas où une personne non reconnue comme un homme peut produire un taux élevé de testostérone. Mais on le rappelle, ce n’est pas un critère qui fait consensus auprès des scientifiques pour mesurer la force ou la performance. “Il est tout à fait possible d’avoir un fort taux de testostérone tout en ayant un caryotype XX [celui du sexe féminin, ndlr], nous indique la biologiste Joëlle Wiels. C’est le cas par exemple du syndrome des ovaires polykystiques ou encore de l’hyperplasie congénitale des surrénales”.
Concernant le critère chromosomique aussi, la question de la pertinence se pose. En théorie, la paire de chromosomes sexuels entraîne le développement des organes génitaux (XX pour les femmes, XY pour les hommes). Mais certaines personnes (1,7% de la population selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les droits de l’homme) sont nés avec des variations : on parle de personnes intersexes.
Une question qui concerne uniquement les femmes
Preuve que même la testostérone ou un caryotype pas dans les normes ne peuvent pas tout faire, Imane Khelif n’a pas toujours été victorieuse. On apprend dans un article de Marianne que la boxeuse algérienne a déjà été battue à neuf reprises par d’autres femmes. Qualifiée pour les demi-finales des JO de Paris, Imane Khelif est assurée d’avoir une médaille, tout comme la taïwanaise Lin Yu-ting, qui subit le même harcèlement sur les réseaux sociaux.
Du côté des hommes, la question de savoir si l’athlète a plus ou moins de force, ou de connaître son taux de testostérone, ne se pose pas, soulève les deux expertes que nous avons contactées. “Une femme dont les performances étonnent est facilement suspecte alors que ce n’est pas le cas pour les hommes. Comme par exemple Léon Marchand“, fait remarquer Joëlle Wiels.
Quant à elle, Julie Mattiussi note que “le problème de la catégorisation hommes – femmes est historique. Pour permettre aux femmes de concourir, on a créé une catégorie spécifique pour les protéger et leur permettre de gagner. Mais ce faisant, on entretient l’idée que les femmes sont moins fortes et que les hommes le sont plus”.
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