Jean-Philippe Tanguy (RN) veut créer une commission d’enquête parlementaire sur les agents d’influence de l’étranger
Auteur : Louis Lesigne, master de droit public et études parlementaires, Aix-Marseille Université et Université du Luxembourg
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Yeni Daimallah et Emma Cacciamani
Source : Proposition de résolution nº 275, 28 septembre 2022
Si les députés RN, bien que de l’opposition, peuvent obtenir bien plus aisément la création d’une commission d’enquête grâce au “droit de tirage”, encore faut-il que l’objet de cette commission soit précis. De plus, cette commission, par sa composition, sera le reflet de l’Assemblée. Elle risque donc d’échapper à la maîtrise du RN et se retourner contre lui.
Le 27 octobre 2022, le Rassemblement National a, par la bouche de Jean-Philippe Tanguy, annoncé vouloir exercer son droit de tirage pour la création d’une commission d’enquête sur les “ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères […] visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français”.
Ces dernières années, les commissions d’enquête ont fait les grandes heures du Parlement. L’affaire McKinsey, la gestion de la crise sanitaire, ou encore celle plus ancienne sur le scandale du sang contaminé ont montré le Parlement dans ses fonctions de contrôle de l’action gouvernementale et d’évaluation des politiques publiques. Mais elles sont aussi un outil de communication pour les groupes politiques. Ainsi, on observe déjà douze propositions mises en ligne à la date de rédaction de cet article. Sur ces douze propositions, seules deux ont été sérieusement envisagées : celle des Républicains (entérinée le 5 octobre) et celle du Rassemblement national, toutes les deux par droit de tirage.
La procédure normale de création de commissions d’enquête, inaccessible aux groupes minoritaires
Fixée aux articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée (RAN), la procédure normale de création commence avec une proposition faite par un ou plusieurs députés, envoyée à la présidence de l’Assemblée. Après quelques vérifications, cette demande est traitée par une commission permanente de l’Assemblée qui tranche en droit, mais aussi en opportunité (c’est-à-dire sur des critères politiques). Si la commission permanente entérine la création, alors la demande est soumise au vote de tous les députés.
En pratique, cette procédure ne permet pas aux groupes d’opposition de créer de telles commissions. Les députés de la majorité bloquent toujours leur création. Pour contrer cette domination de la majorité sur toute possibilité d’investigation des groupes d’opposition, un “droit de tirage” a été créé.
Le droit de tirage pour les groupes d’opposition
Le droit de tirage est la possibilité pour les groupes d’opposition et les groupes minoritaires de créer une commission d’enquête indépendamment de la volonté de la majorité. Il peut être actionné à tout moment par le président de groupe, dans la limite d’une fois par session ordinaire. Avec cette procédure particulière, aucune opposition à sa création ne peut être émise sur le plan politique, seules les conditions de droit demeurent. En pratique, presque toutes les commissions d’enquête ont été créées par l’exercice du droit de tirage.
Un droit soumis à conditions
Pour qu’une commission d’enquête soit créée (par droit de tirage ou par la procédure normale), son objet doit répondre à certaines conditions fixées par le RAN, mais aussi par une ordonnance de 1958, prise pour l’application de l’article 51-2 de la Constitution.
D’abord, aucune commission d’enquête ne doit avoir travaillé sur le même champ d’investigation dans les douze derniers mois. Ensuite, la commission d’enquête ne doit pas, par son objet, empiéter sur une enquête judiciaire en cours. Certaines personnalités politiques sont déjà visées par des instructions judiciaires tels que Thierry Mariani et Yves Pozzo di Borgo par exemple. Cela n’empêche pas la création d’une commission d’enquête, mais cela limite son objet. Afin de respecter la séparation des pouvoirs, les parlementaires ne sauraient empiéter sur le travail du juge (autrement dit enquêter à la place du juge).
Enfin, il faut que la demande de création de cette commission détermine “avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion”. Or, pour rappel, l’objet de la proposition de commission d’enquête du RN est d’établir “s’il existe des réseaux d’influence étrangers qui corrompent des élus, responsables publiques, dirigeants d’entreprises stratégiques ou relais médiatiques dans le but de diffuser de la propagande ou d’obtenir des décisions contraires à l’intérêt national”. Au cours de la conférence de presse pendant laquelle Jean-Philippe Tanguy a annoncé que le RN utiliserait son droit de tirage, le député a précisé que cette commission travaillerait sur “toutes les ingérences et pour tous les partis”. Aucun fait précis n’est rapporté : il s’agit uniquement des soupçons de traîtrise nationale que se jettent allègrement certaines personnalités politiques.
Il est donc possible que la demande de création soit rejetée, même si cette exigence de précision est toute relative. L’exemple le plus récent est l’examen de la proposition de résolution “tendant à la création d’une commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France”, résultant du droit de tirage du groupe Les Républicains, où la commission des affaires économiques a estimé qu’une telle proposition était suffisamment précise. Par ailleurs, les cas de rejet de proposition de commission d’enquête pour irrespect de la condition de précision de l’objet sont extrêmement rares, le dernier cas remonte à 2020. Reste donc à voir quel sera l’avis de la commission des lois.
Enfin, il reste une limite aux commissions d’enquête, qui ne figure pas dans ces textes, mais qui fut au cœur de la saga Benalla au Parlement : le Parlement ne peut pas enquêter sur le président de la République. Cette limite est, elle aussi, induite par le principe de séparation des pouvoirs. Limite avec laquelle flirte d’ailleurs la députée Danielle Simonnet (LFI) dans sa proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative aux révélations des Uber Files et au rôle du Président de la République dans l’implantation d’Uber en France déposée le 10 octobre dernier.
Une commission d’enquête peut se retourner contre son initiateur
Bien que demandées par un groupe, ces commissions sont constituées proportionnellement à la composition politique de l’Assemblée tout entière. Le RN ne contrôlerait donc pas cette commission car il est minoritaire, et cela même si les postes de président ou de rapporteur, reviennent de droit au groupe à l’origine de la création de la commission. Ainsi, la commission d’enquête relative à l’affaire dite Sarah Halimi, créée elle aussi par droit de tirage (à l’époque du groupe UDI), a donné des conclusions très éloignées de ce qu’espérait son président Meyer Habib (UDI). En effet, le rapport final de la commission doit être voté par la commission toute entière pour être adopté. L’accession aux postes de président ou de rapporteur de la commission d’enquête n’est donc en rien une garantie de résultat. Pour la commission d’enquête proposée par le RN, Jean-Philippe Tanguy a choisi la présidence, reste à voir en cas de création de cette commission, quelles seront les conclusions de l’hypothétique commission.
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