Jean-Luc Mélenchon : « L’apologie du terrorisme c’est le soutien inconditionnel du gouvernement aux crimes de guerre à Gaza »
Audrey Darsonville, professeure de droit pénal, Université Paris-Nanterre
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Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
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Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay
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Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng
Source : Compte X (anciennement Twitter) de Jean-Luc Mélenchon
La définition de l’apologie du terrorisme selon la loi et la Cour de cassation n’a tout simplement rien à voir avec celle qu’en dresse le chef des Insoumis.
Tout est parti d’un tract diffusé par la CGT : « Les horreurs de l’occupation illégale se sont accumulées. Depuis samedi, elles reçoivent les réponses qu’elles ont provoquées », qui a donné lieu à l’interpellation des responsables locaux du syndicat, pour apologie du terrorisme, un délit prévu à l’article 421-2-5 du code pénal, et qui fait encourir à son auteur une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
Cette incrimination pénale rencontre un sinistre succès depuis les attaques du Hamas en Israël. Chacun en accuse ses adversaires politiques, chacun y va de sa propre définition plus ou moins erronée et surtout orientée. Jean-Luc Mélenchon vient ici illustrer comment, avec une pseudo-définition de l’apologie du terrorisme, on peut aller jusqu’à détourner le code pénal à des fins politiques. À en croire le patron des Insoumis, le gouvernement français serait coupable d’apologie du terrorisme par un « soutien inconditionnel (…) aux crimes de guerre à Gaza ».
Or, d’abord, l’État français n’est pas soumis au code pénal pour des raisons évidentes : l’État a le monopole de la répression et il ne peut s’auto-réprimer. Jean-Luc Mélenchon vise alors peut-être des personnalités du gouvernement, mais il doit alors les nommer.
Ensuite, cette définition de l’apologie du terrorisme est totalement erronée.
Définition légale de l’apologie du terrorisme
L’article 421-2-5 du code pénal dispose : « Le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende », et jusqu’à « sept ans d’emprisonnement et à 100 000 € d’amende lorsque les faits ont été commis en utilisant un service de communication au public en ligne ».
Cette infraction existait déjà dans la loi sur la presse (Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, article 24), et elle a été transférée au sein du code pénal par la loi du 13 novembre 2014 dans le but d’assurer une répression renforcée contre les auteurs de tels actes, en évitant qu’ils ne bénéficient du régime plus favorable de la loi sur la presse.
C’est la Cour de cassation qui a précisé les contours de ce délit.
Interprétation par la Cour de cassation du délit d’apologie du terrorisme
Selon la Cour de cassation, « le délit d’apologie d’actes de terrorisme, prévu et réprimé par l’article 421-2-5 du code pénal, consiste dans le fait d’inciter publiquement à porter sur ces infractions ou leurs auteurs un jugement favorable » (Cour de cassation, chambre criminelle, 11 déc. 2018). Pour qu’il y ait apologie du terrorisme, il faut donc que l’auteur encourage ou tente d’encourager d’autres personnes à porter un jugement favorable sur cet acte ou son auteur.
Le délit d’apologie ne vise donc pas une opinion, fut-elle publiquement exprimée, même dans le but de choquer. L’approbation simple ne suffit pas, il faut une volonté de diffuser cette opinion afin d’encourager l’approbation de tels actes ou de leur auteur.
Enfin, peu importe que l’apologie ait été ou non commise « en relation avec » un acte de terrorisme, c’est-à-dire en faisant référence à un acte précis, ou de manière générale en soutenant ce mode d’action (Cour de cassation, ch. crim., 11 déc. 2018).
Une fois cette définition fournie par la Cour de cassation, il faut l’appliquer. Pour chaque affaire, le juge pénal devra caractériser le délit d’apologie du terrorisme (c’est-à-dire identifier ce délit à partir des faits commis).
Exemples d’apologie du terrorisme : « Je suis Kouachi »
Cette définition de l’apologie du terrorisme a été formulée par la Cour de cassation à propos d’un individu qui, lors d’un rassemblement en hommage aux victimes des attentats de 2015 contre le journal Charlie Hebdo et l’épicerie Hyper-Casher, avait exhibé une pancarte portant d’un côté l’inscription « Je suis Charlie » et de l’autre « Je suis Kouachi ». Pour le juge, cet acte ne pouvait que constituer une « assimilation, par glorification et héroïsation, aux auteurs des actes terroristes, et par extension un soutien à ces actes terroristes » (Cour de cassation, ch. crim., 11 déc. 2018).
Autre exemple, Jean-Marc Rouillan, ancien membre de groupe Action directe, avait dit lors d’une interview à propos des terroristes des attentats du 13 novembre 2015: « Moi, je les ai trouvés très courageux. Ils se sont battus courageusement. Ils se battent dans les rues de Paris. Ils savent qu’il y a deux ou trois mille flics autour d’eux » (Cour de cassation, ch. crim. 27 novembre 2018, n°17-83.602). Présenter les terroristes comme des hommes “courageux” était une façon de les valoriser, de les présenter sous un jour positif, ce qui a valu à Jean-Marc Rouillan une condamnation pénale du chef d’apologie du terrorisme. Saisie par ce dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que la loi française réprimant l’apologie du terrorisme répondait à un but légitime, à savoir la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales. Mais elle a tout de même sanctionné la France en raison de la peine d’emprisonnement ferme prononcée contre Jean-Marc Rouillan, qu’elle considérait comme non nécessaire (Cour EDH, 23 juin 2002, Rouillan C/ France).
De plus, peu importe que les propos apologétiques soient prononcés devant un nombre réduit de personnes, dès lorsqu’ils sont publics : ainsi, il y a délit lorsque les propos sont tenus intentionnellement au sein d’un établissement pénitentiaire en présence des seuls personnels de cette administration (Cour de cassation, ch. crim., 19 juin 2018). A fortiori, il y a délit lorsque les propos sont diffusés par voie de presse, à travers les réseaux sociaux, dans une assemblée, ou au cours d’une manifestation publique.
Inversement, lorsqu’un individu menace le personnel d’un hôpital ainsi : « je crois que vous n’avez pas compris, je travaille pour Daesh moi (…) je repars en Syrie, je fais partie de Daesh si vous n’avez pas compris » et « je vais reprendre du service et reprendre contact avec Daesh », il s’agit de menaces de crimes ou délits, certes punissables, mais pas d’apologie du terrorisme (Cour de cassation ch. crim., 28 juin 2022). En effet, ces propos ne sont pas de nature à diffuser une vision positive des terroristes mais bien au contraire à effrayer ceux qui les entendaient.
Au regard des contours dégagés par la jurisprudence relative à l’apologie du terrorisme, le propos de Jean-Luc Mélenchon est donc erroné : un soutien politique – à supposer qu’il soit établi- n’est pas une apologie, et utiliser de façon erronée des qualifications pénales à des fins politiques ne contribue pas à éclairer le débat sur un sujet pourtant essentiel, à savoir la lutte contre le terrorisme.
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