Israël-Hamas : en demandant des mandats d’arrêt, le Procureur ne se substitue pas aux systèmes nationaux

Crédits photo : Пресс-служба Президента Российской Федерации, CC 4.0
Création : 23 mai 2024

Autrice : Clotilde Jégousse, journaliste

Relecteur : Vincent Couronne, chercheur associé en droit public au centre de recherches Versailles Institutions Publiques, enseignant en droit européen à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye

La démarche de Karim Khan à l’encontre des Premier ministre et ministre de la Défense israéliens n’empiète pas sur la souveraineté judiciaire d’Israël. L’État hébreu peut d’ailleurs toujours se saisir de la procédure.

“Décision partisane”, “Statuts bafoués”, “Une blague la CPI!”… Depuis la demande de mandat d’arrêt du Procureur de la Cour pénale internationale contre trois dirigeants du Hamas et les Premier ministre et ministre de la Défense israéliens, lundi 20 mai, de nombreux posts mettant en cause la compétence de la juridiction apparaissent sur les réseaux sociaux. Géraldine Woessner, rédactrice en chef du journal Le Point, a même lancé un appel à l’éclairage “bienvenu” des juristes sur son compte X (ex Twitter) mardi 21 juin. Dans un thread argumenté, elle explique qu’avant de formuler sa demande, “le procureur n’a pas attendu de vérifier si la justice israélienne avait elle-même ouvert une enquête”. Et d’ajouter : “Cela semble tout à fait hors cadre”. De l’avis de plusieurs juristes et avocats, la demande du Procureur britannique est pourtant parfaitement dans les clous du Statut de Rome. 

Obligation d’enquête et devoir de poursuite

L’article 17 du Statut prévoit que la CPI dispose d’une compétence complémentaire pour enquêter sur les crimes internationaux. Contrairement à la compétence dite subsidiaire, notamment choisie par la Cour européenne des droits de l’homme et qui ne peut être exercée qu’en second lieu, la compétence de la CPI peut être exercée dès lors que l’État concerné n’en a pas la capacité ou la volonté. En l’occurrence, “aucune procédure en Israël ne vise Benjamin Netanyahou et Yoav Gallant pour crime de guerre et crime contre l’humanité, observe Yann Jurovics, maître de conférences en droit international public à l’université Paris Saclay et ancien réviseur juridique de la CPI. Tout comme l’Autorité palestinienne, l’État hébreu n’a montré aucune volonté de juger les dirigeants visés par le Procureur de la CPI. Rien ne dit non plus que, dans le contexte actuel, les standards internationaux d’impartialité, de neutralité et d’indépendance de la justice soient réunis pour que des procès sur ces sujets puissent se tenir dans les deux États.

À côté de cela, le Procureur assure avoir “recueilli et examiné” des éléments qui pourraient engager la responsabilité pénale des dirigeants du Hamas et d’Israël pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Sa décision de formuler une demande relève d’un choix d’opportunité, dont il n’a pas besoin de s’expliquer à ce stade. “Le Statut de Rome n’oblige pas le Procureur à une motivation spécifique. Ce n’est pas une condition de validité de saisine de la chambre préliminaire”, précise Maître Emmanuel Daoud, avocat spécialisé en droit international. Une partie de la doctrine considère d’ailleurs que ces crimes, dits de “jus cogens” – qui heurtent des principes de droit universels et supérieurs – sont assortis d’une obligation d’enquête et d’un devoir de poursuite pour quiconque en a connaissance. 

“Les États peuvent toujours se saisir de la procédure”

Le Procureur n’a donc pas outrepassé ses compétences en demandant à la chambre préliminaire de la Cour de se prononcer sur ces mandats d’arrêt. D’autant plus que, dans son communiqué, il “laisse entendre que les États peuvent toujours se saisir de la procédure », indique Yann Jurovics. « Dans ce cas, il retirera son mandat d’arrêt, c’est l’application basique de la règle”, ajoute le juriste. Karim Khan a en effet précisé que le principe de complémentarité “fera l’objet d’un examen continu” par son bureau. Principe en vertu duquel, toutefois, “le soin de l’enquête peut seulement être déféré aux autorités nationales lorsque celles-ci entament des procédures judiciaires indépendantes et impartiales qui n’ont pas pour but de soustraire les suspects présumés à leurs responsabilités pénales et qui ne soient pas des simulacres de procédures judiciaires”, selon Karim Khan.

En 2017, le bureau du Procureur avait par exemple demandé l’autorisation d’ouvrir une enquête sur des crimes commis pendant la guerre d’Afghanistan à l’encontre de responsables talibans, des forces de sécurité afghanes et des forces armées américaines. L’un et l’autre s’y étaient opposés, l’Afghanistan affirmant en 2020 que ses propres institutions judiciaires étaient capables et désireuses de poursuivre les violations sur son territoire. En 2021, Karim Khan avait annoncé une réorientation de l’enquête, laissant de côté les crimes présumés des forces de sécurités afghanes et américaines.

Bien que cela semble peu probable à ce stade, l’amorçage de négociations de paix entre Israël et le Hamas pourrait également arrêter l’enquête. Dans une telle situation, le Conseil de Sécurité des Nations Unies (CSNU) pourrait formuler une demande de sursis à statuer à la CPI, dans la limite de 12 mois renouvelables, conformément à l’article 16 du Statut de Rome. “Le procureur a aussi un rôle dans la cessation des exactions en cours et dans la prévention des conflits futurs. Fatou Bensouda, en poste de 2012 à 2021, a notamment participé aux discussions qui ont mené à l’accord politique pour la paix et la réconciliation en République centrafricaine, aux côtés des chefs militaires en 2019”, raconte Aude Brejon, docteure en droit public et chercheuse au Centre de recherche sur les droits de l’Homme et le droit humanitaire (CRDH). Non seulement la demande d’ouverture d’enquête ne coupe pas l’herbe sous le pied des États, mais elle pourrait les rapprocher de la table des négociations.

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