Inscription de l’IVG dans la Constitution : le sénateur Philippe Bas souhaite retirer le mot « garantie » car ce terme risque de transformer cette liberté en un « droit absolu »
Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
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Fonctions politiques ou similaires : aucune
Source : France Info, 28 février 2024
Un droit ou une liberté, même garantie, ne sont jamais absolus. Ils connaissent des exceptions pour les concilier avec l’ordre public.
Ce mercredi 28 février, le Sénat examine le projet de loi constitutionnelle visant à intégrer l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution. L’Assemblée nationale avait adopté un premier texte fin janvier, et retenait une « liberté garantie » de recourir à l’IVG. Le sénateur Philippe Bas propose un amendement pour retirer le mot « garantie ». Il justifie cet amendement, arguant que cela créerait un « droit absolu ». Son raisonnement n’est pas bon, d’abord parce que les droits absolus n’existent pratiquement pas.
Les « droits absolus » n’existent pas, ou presque pas
Un droit absolu suggère qu’il ne connaît aucune exception ni atténuation possibles. Les seuls droits absolus existants se trouvent dans la Convention européenne des droits de l’Homme : l’interdiction de la torture (article 3) et de l’esclavage (article 4). Le droit à la vie lui-même connaît des exceptions, en cas d’insurrections, ou pour protéger la vie d’autres personnes (article 2 de la ConvEDH). En dehors de ces deux cas, tout droit ou toute liberté, même garantie, connaît des limites, ne serait-ce qu’en raison de nécessités d’ordre public. Cela signifie que même si l’IVG était inscrit dans la Constitution sous forme d’une « liberté garantie » ou d’un « droit », elle connaîtrait des exceptions ou atténuations.
De fait, c’est tout le raisonnement de Philippe Bas qui tombe.
« Liberté » sans « garantie », quelle conséquence ?
Consacrer une liberté signifie que l’État ne peut empêcher l’accès à l’IVG. Il a donc l’obligation dite « négative » de ne pas s’y opposer par des contraintes légales ou réglementaires excessives (délais trop longs, motifs d’IVG limités, bureaucratie excessive, etc.). Mais aucune liberté n’étant absolue comme on l’a dit, elle peut être limitée afin de préserver notamment l’ordre public. C’est le sort classique dans un État de droit où chacun exerce ses libertés sans nuire à celle des autres, et en tenant compte de l’ordre public.
Et si le mot garanti est maintenu ?
On ne connaît pas de modèle de « liberté garantie » dans la Constitution. C’est un ovni juridique. Dans ces conditions, deux lectures sont possibles. Première lecture, la liberté garantie n’est jamais qu’une liberté. Toutes les libertés, qu’elles soient inscrites dans la loi ou la Constitution, sont garanties, et les juges peuvent être saisis contre l’État s’il entrave trop une liberté ainsi reconnue. Seconde lecture, la liberté garantie se rapproche du droit. Non seulement l’État ne peut empêcher l’IVG sauf raison d’ordre public, mais il doit s’appliquer à faire en sorte que toute femme souhaitant recourir à l’IVG puisse le faire. Cela suppose donc la mise en place de dispositifs d’accompagnement, que bien des associations trouvent actuellement insuffisants. C’est peut-être ce que Philippe Bas reproche à la « liberté garantie » : elle engage trop l’État et l’idée que l’État puisse faciliter l’acte d’IVG semble le heurter.
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