Incendies à Los Angeles : Le gouverneur de Californie a-t-il préféré protéger un poisson plutôt que ses habitants, comme l’affirme Donald Trump ?
Autrice : Jeanne Boyer, étudiante en journalisme à l’école W
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Hugo Guguen, juriste
Source : Compte Facebook, le 9 janvier 2025
Donald Trump accuse Gavin Newsom d’avoir refusé de signer une déclaration des eaux qui, selon lui, aurait permis d’éviter les ravages des feux à Los Angeles… sauf que cette déclaration n’existe pas. De plus, dans les incendies actuels, le problème ne réside pas dans la quantité d’eau disponible, mais dans l’inadéquation des infrastructures.
Les incendies meurtriers qui ravagent la cité des Anges depuis le 7 janvier, causant déjà 27 morts, sont rapidement devenus un terrain de récupération politique pour le camp républicain.
Après s’être attaqué à la maire démocrate de Los Angeles, Karen Bass, Donald Trump a ensuite pointé du doigt le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, pour sa responsabilité supposée dans les incendies.
Au lendemain du début des incendies, le 8 janvier, le 47ème président des États-Unis accuse, sur son réseau social Truth Social, celui qu’il surnomme Newscum – scum pouvant être traduit par « ordure » – d’avoir refusé de signer « une déclaration de restauration des eaux », qui aurait permis plus d’avoir plus d’eau pour lutter contre les feux. Les raisons de ce refus selon Donald Trump : la protection d’un poisson, l’éperlan du delta.
Repris par Elon Musk sur X, les propos de Donald Trump ont enflammé la toile. Mais qu’en est-il réellement ? Le gouverneur a-t-il préféré un poisson à sa population, comme l’affirme Donald Trump ?
Aucune « déclaration de restauration des eaux »
En réponse aux accusations de Trump, le bureau de presse du gouverneur Newsom a déclaré : « Il n’existe pas de déclaration de restauration des eaux – c’est de la pure fiction ». Pour ensuite ajouter : « Le gouverneur se concentre sur la protection des personnes, pas sur les jeux politiques, et s’assure que les pompiers disposent de toutes les ressources dont ils ont besoin ». La BBC, après enquête, confirme l’inexistence de cette mystérieuse déclaration qu’évoque Trump.
Il n’existe donc aucune déclaration de restauration des eaux. En revanche, un débat existe sur la gestion des eaux en Californie. Les Surligneurs décryptent pour vous.
Aux États-Unis, les agences fédérales émettent des avis biologiques (« BiOps » — pour « biological opinions ») pour mettre en œuvre des plans de gestion de l’eau au niveau fédéral. Ces avis doivent être en adéquation avec d’autres lois fédérales, comme la loi fédérale sur les espèces en danger (Endangered Species Act).
Lorsque l’administration Trump est entrée en fonction en 2016, elle a cherché à réviser les BiOps régissant les opérations en Californie (ce qui a été fait en 2019), explique aux Surligneurs Jeffrey Mount, chercheur principal à l’Institut des politiques publiques de Californie, un groupe de réflexion non partisan. « Cela aurait pu permettre aux exploitations agricoles de la vallée de San Joaquin de disposer d’un peu plus d’eau et de bénéficier d’une certaine flexibilité dans les opérations », précise-t-il.
Sauf que ces nouveaux BiOps violaient les lois de l’État protégeant la qualité de l’eau et les espèces menacées. L’administration de Californie a intenté un procès en 2020 contre l’administration Trump pour non-respect des lois fédérales « pour ne pas avoir protégé les espèces menacées dans les rivières Sacramento et San Joaquin », et a gagné. Lorsque l’administration Biden est entrée en fonction, elle a remanié les BiOps afin de les rendre conformes aux lois de l’État.
Si ces mesures n’avaient pas forcément convaincu non plus les associations de défense de l’environnement, comme le rapporte le média californien CalMatters, l’histoire ne s’arrête pas là.
Dernier épisode en date dans cette bataille politique : parmi les 42 décrets signés par Trump le jour de son investiture, le nouveau président des États-Unis a inclus un mémorandum subtilement appelé « Faire passer les gens avant les poissons » (« Putting People over fish« ) dans lequel il ambitionne de réinstaurer les mesures qu’il avait prises en Californie lors de sa précédente mandature.
Il y écrit : « Les récents incendies de forêt meurtriers et historiquement destructeurs qui ont ravagé le sud de la Californie soulignent pourquoi l’État de Californie a besoin d’un approvisionnement en eau fiable et de pratiques saines de gestion de la végétation afin de fournir l’eau dont il a désespérément besoin, et pourquoi ce plan doit être immédiatement mis en œuvre à nouveau.«
Au-delà du fait que ces nouvelles mesures risquent de se heurter aux mêmes problèmes de non-conformité avec les lois fédérales qu’en 2020, le lien logique avec les incendies est tout simplement faux.
Les experts en politique de l’eau en Californie s’accordent à dire que le débat évoqué par Donald Trump — la gestion des eaux en Californie — n’a aucun lien avec les difficultés rencontrées dans la lutte contre les incendies. Premièrement, comme le souligne le média américain de fact-checking Politifact, « la majeure partie de l’eau supplémentaire prévue par le plan de Trump aurait été dirigée vers la vallée de San Joaquin », et non vers Los Angeles.
Ensuite, et c’est probablement l’essentiel, si les pompiers ont effectivement été confrontés à des bouches d’incendie et des réservoirs d’eau vides, ce n’est pas dû à un manque d’eau disponible dans la région, mais à l’inadaptation des infrastructures d’approvisionnement en eau face à des méga feux d’une telle ampleur, s’accordent les spécialistes.
« En fait, la plupart des infrastructures d’approvisionnement en eau sont conçues pour alimenter en eau les habitations et les entreprises et pour faire face à des incendies domestiques normaux. Elles n’ont pas la capacité — à la fois en matière de stockage à proximité des zones urbaines et en matière d’acheminement rapide d’une grande quantité d’eau — de lutter contre des incendies d’une telle ampleur » explique Jeffrey Mount, chercheur de l’Institut des politiques publiques de Californie aux Surligneurs.
Concernant le réservoir de Santa Ynez, situé dans les hauteurs du fameux quartier de Pacific Palisades, largement critiqué pour son inopérabilité lors des incendies, cette situation s’explique par des travaux de maintenance, et non par un manque d’eau. Le gouverneur de Californie a d’ailleurs annoncé l’ouverture d’une enquête indépendante à ce sujet.
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