Importations agricoles en provenance d’Ukraine : l’Union européenne entre le soutien à Kiev et la grogne des agriculteurs
Dernière modification : 3 avril 2024
Auteurs : Grégoire Garec, Maël Kolong, Léa Menguy, Margaux Trouvé, master Droit européen, Université Paris-Saclay
Relectrice : Tania Racho, docteure en droit européen, chercheuse associée à l’IEDP, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle
Entre soutien à l’Ukraine par un accord en matière d’importations agricoles, et colère des agriculteurs européens du fait d’une concurrence qu’ils jugent déloyale, la Commission fait du funambulisme.
Dans une volonté de prolonger le soutien commercial de l’Union européenne à l’Ukraine, la Commission européenne a proposé en janvier 2024 de renouveler pour un an les exemptions tarifaires accordées aux importations agricoles ukrainiennes. Consciente des contestations en la matière au sein de l’Union européenne, cette initiative doit également se concevoir sous l’angle d’une réponse à la colère des agriculteurs européens. Une vague de revendications issues du monde paysan s’est en effet matérialisée ces derniers mois dans plusieurs pays d’Europe, concernant notamment les aménagements apportés à l’accord d’association de 2014 entre l’Union européenne et l’Ukraine en conséquence du conflit actuel avec la Russie. Sans remettre en cause la solidarité envers le peuple ukrainien, des organisations agricoles nationales, comme la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA), dénoncent principalement les “distorsions de concurrence” provoquées par la libéralisation accrue des échanges. En effet, ces avantages commerciaux se traduisent par une entrée sans précédent de produits ukrainiens dans l’Union, alors même que ceux-ci ne répondent pas à un certain nombre de normes européennes, s’agissant par exemple de la taille des élevages ou de l’utilisation de produits phytosanitaires.
Des facilités commerciales maintenues mais diminuées
L’invasion russe en Ukraine déclenchée le 24 février 2022 a accentué une polarisation du monde entre, d’un côté, un bloc occidental et, de l’autre, la Russie et ses soutiens. Dans l’attente d’un hypothétique déblocage de l’aide américaine, l’Union européenne demeure le seul acteur capable d’aider efficacement l’Ukraine face au régime de Vladimir Poutine. Dans ce contexte de tension géopolitique, il est attendu des États membres de l’Union qu’ils s’accordent sur les facilités commerciales octroyées aux acteurs économiques ukrainiens.
En parallèle de cette guerre, le monde agricole montre sa colère, entre en crise et demande à l’Union européenne de modifier son aide inconditionnelle à l’Ukraine. Le Parlement et le Conseil doivent donc trouver un compromis sur le renouvellement annuel des mesures de libéralisation des échanges avec l’Ukraine, et principalement des produits agricoles, visant à maintenir son opposition au régime russe tout en apaisant le mal-être des agriculteurs. Pour cela, les exportations ukrainiennes doivent trouver des acheteurs, sans pour autant fausser la concurrence au sein de l’Union.
Mercredi 20 mars, les eurodéputés et les États membres se sont accordés sur une limitation de l’importation de certaines denrées alimentaires exemptées de droits de douane depuis 2022. Sont concernés les œufs, les volailles, les sucres, l’avoine, le maïs et le miel. Ces produits seront toujours dispensés de droits de douane tant qu’ils ne dépassent pas le seuil d’une moyenne calculée sur les importations des années 2022 et 2023.
L’Union entend également favoriser le transfert d’une partie de ces denrées vers le Moyen-Orient et l’Afrique, comme c’était le cas avant la guerre. Cela faciliterait la croissance de l’économie ukrainienne tout en n’affectant pas la situation économique de l’Union, se limitant ainsi à un rôle de transit pour certains produits agricoles ukrainiens.
Enfin, cet accord prévoit une diminution du délai d’intervention de la Commission dans le cas d’une chute brutale du prix du blé, permettant à l’institution européenne de répondre efficacement aux besoins des agriculteurs européens.
Des facilités encore trop larges pour certaines filières agricoles
Malgré les différentes mesures correctives envisagées, l’accord provisoire du Parlement et du Conseil ne répond pas aux attentes de certains.
L’absence du blé et de l’orge de la liste des produits agricoles faisant l’objet d’un plafonnement renforce la crispation. Ces deux types de céréales comptent pourtant parmi les principales productions agricoles ukrainiennes, et sont donc susceptibles d’être exportées en plus grand volume. Si les eurodéputés ont reçu des garanties de la part de la Commission en cas d’augmentation trop élevée des importations de blé ukrainien, l’orge n’est pas envisagée dans le compromis initial entre les Vingt-Sept et le Parlement. Les réserves pour soumettre ces produits spécifiques au même régime de plafonnement s’expliquent en grande partie par les importantes pertes économiques que de telles restrictions causeraient à l’Ukraine, toujours limitée dans ses choix de destination pour exporter ses céréales en raison du blocus russe en mer Noire.
De même, l’accord de principe ne constitue qu’une réponse partielle au mécontentement du monde agricole au vu de la période de référence retenue pour déterminer les seuils de déclenchement des mécanismes de sauvegarde (2022-2023). Cet indicateur leur semble biaisé car il revient à se baser sur une période caractérisée par des niveaux d’importations particulièrement élevés, en raison précisément des exemptions accordées par l’Union suite à l’agression russe. Sur ce point, les eurodéputés et certains États membres ont défendu l’idée d’un seuil calculé sur la base d’une moyenne des importations sur les trois dernières années (2021-2023), afin de rééquilibrer le référentiel.
Suspension de l’accord UE/Ukraine pour cause de désaccord au sein de l’UE
Alors que l’accord aurait dû faire l’objet d’une acceptation formelle au sein du Conseil et du Parlement dans les semaines à venir, le texte provisoire a rapidement été suspendu du fait de l’opposition de plusieurs États membres, parmi lesquels la France, l’Italie et la Pologne. Ce retour annoncé à la table des négociations illustre les problématiques délicates auxquelles l’Union doit répondre, comprenant les revendications des agriculteurs européens et les réticences de certains États membres. Qu’il s’agisse des pays du groupe de Visegrád, tels que la Pologne ou la Slovaquie, qui ont pu prendre des mesures unilatérales contre l’afflux de produits ukrainiens sur leurs marchés, ou d’autres États, comme la France et l’Italie, ayant fait face aux contestations de leurs agriculteurs nationaux, une partie des Vingt-Sept est confrontée plus que les autres au poids du soutien à l’Ukraine.
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