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Immigration : Olivier Marleix (LR) souhaite modifier la Constitution pour contourner les juges européens

Création : 11 novembre 2023

Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucune

Relecteur : Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public, Université de Poitiers

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Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani

Source : Le Monde, 7 novembre 2023

Modifier la Constitution n’exonère pas la France du devoir de respecter les traités qu’elle a signés et ratifiés, sauf atteinte à l’identité nationale. De plus, les juridictions européennes ont les moyens de contourner l’obstacle constitutionnel.

Alors que les débats sur le projet de loi “Immigration” ont commencé au Sénat, le président du groupe LR à l’Assemblée nationale, Olivier Marleix, a déclaré qu’en matière d’immigration : “changer la loi ne suffit plus, puisqu’un juge peut refuser de l’appliquer sous prétexte qu’elle serait contraire à une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Il faut changer la Constitution !”. Selon la logique du chef de file des députés LR, la Constitution ne serait donc pas soumise au droit européen et international. Et il suffirait de la modifier pour s’affranchir de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme dont il estime qu’elle est parfois contraire aux intérêts français. Il n’a pas totalement tort au regard des juridictions nationales, mais cela ne dispense aucunement la France du respect du droit international, aux yeux des juridictions européennes.

Modifier la Constitution pour mettre la loi à l’abri des juridictions européennes ? 

La hiérarchie entre les normes nationales (lois, règlements, Constitution notamment) et les normes supranationales (les traités internationaux notamment) est sujette à débat. L’article 55 de notre Constitution prévoit que les traités sont supérieurs aux lois nationales. Mais rien n’est dit sur le rapport entre les traités et notre Constitution : lequel prime en cas d’incompatibilité entre les deux ? Dans son arrêt Sarran et Levacher du 30 octobre 1998, le Conseil d’État déclare que si les traités européens sont supérieurs aux lois nationales, ils ne priment pas sur la Constitution. La Cour de cassation tient le même raisonnement depuis son arrêt Pauline Fraisse du 2 juin 2000

C’est pourquoi Olivier Marleix pense qu’en modifiant la Constitution, il espère s’affranchir du droit européen en matière d’immigration et voter des lois sans risque qu’elles soient remises en cause par les juges nationaux au nom du droit européen. Il s’agirait par exemple d’insérer dans la Constitution un article restrictif sur l’immigration, ce qui permettrait au législateur d’apporter les précisions nécessaires, et le juge national ne pourrait y échapper. C’est vrai en l’état de notre droit national.

Des juridictions européennes qui sautent par-dessus les constitutions nationales

À l’inverse des juridictions nationales, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) considèrent que les engagements internationaux et européens priment sur le droit national, y compris sur les dispositions constitutionnelles.

La Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE, aujourd’hui CJUE) a posé ce principe dans sa décision Costa contre ENEL de 1964 : “issu d’une source autonome ne pouvant, en raison de sa nature spécifique originale se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu’il soit sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la communauté elle-même”. La Cour ne distingue pas entre les lois et les constitutions nationales : elle soumet tous les textes internes au droit européen. 

La seule réserve réside dans le fait qu’une norme internationale peut entrer en conflit avec ce qui fait l’identité nationale d’un État (décision du Conseil constitutionnel du 15 octobre 2021). D’ailleurs, l’article 4 du Traité sur l’Union européenne précise que “l’Union respecte l’égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale”. Il est donc possible pour les États-membres de l’Union européenne d’invoquer la clause d’identité nationale pour qu’une disposition de droit interne, considérée comme inhérente à l’identité du pays, ne soit pas soumise au droit européen.

De son côté, la Cour Internationale de Justice, dans un arrêt Nicaragua de 1986 et un autre LaGrand de 2001, a également jugé que les Etats ne pouvaient invoquer leur Constitution pour échapper à leurs obligations internationales.

Les juridictions européennes qui ont les moyens juridiques de faire plier la France

Qu’adviendrait-il si la France adoptait un texte constitutionnel contraire à un traité international ? La CJUE sanctionne les États membres qui manquent à leurs obligations découlant du droit de l’Union européenne, ce qui est fréquent. Par exemple, le 24 octobre 2019, la Cour a condamné la France pour manquement à ses objectifs en matière de pollution de l’air. La France a alors été enjointe de se conformer à la décision de la Cour dans les plus brefs délais, sous peine de se voir infliger de lourdes amendes.

S’agissant de la CEDH, un État condamné peut être contraint de verser une “satisfaction équitable” (ou plus simplement indemnisation) à un individu dont un droit fondamental a été entravé (article 41 de la Convention EDH). Récemment encore, par une décision du 9 novembre 2023, la CEDH a accordé cette indemnisation aux requérants qui s’étaient pourvus contre la France dans une affaire complexe de délais de recours.

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