Immigration : Les promesses et les non-dits du programme du Rassemblement national
Dernière modification : 5 juillet 2024
Autrice : Lili Pillot, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Gladys Costes, étudiante en licence de Science politique à Lille
Sujet placé au cœur du programme du Rassemblement national durant ces législatives anticipées du 30 juin et 7 juillet, le parti d’extrême-droite promet de mettre un terme à l’immigration, qu’elle juge “incontrôlée”. Mais les principales mesures vantées par les candidats nécessitent beaucoup de travaux qui pourraient avoir des conséquences sur l’ensemble des citoyens. Décryptage.
Une fois les véritables chiffres de l’immigration en France en tête, on peut décortiquer les programmes des partis politiques sur le sujet. Pour l’heure, il reste la thématique de prédilection du Rassemblement National (RN), bien plus que le parti de majorité présidentielle et celui de l’alliance des gauches.
Ce que souhaite le parti d’extrême droite en la matière est d’ailleurs bien connu : “arrêter l’immigration“, comme l’assurait Jordan Bardella sur son compte X, le 7 juin dernier. Et pour y arriver, le RN propose à longueur de débats télévisés un panel de mesures désormais connues de tous : suppression de l’Aide médicale d’État (AME), préférence nationale ou encore rétablissement des contrôles aux frontières intérieures.
Ce que les candidats disent moins en revanche, c’est la manière de mettre en place ces mesures ou encore leurs conséquences concrètes sur la société française. Les Surligneurs font le point pour que chacun puisse voter en toute conscience. C’est le premier volet de notre dossier sur les promesses des partis politiques sur le thème de l’immigration.
Une suppression du droit du sol suspendue au Conseil constitutionnel
Au RN, s’il y a un cheval de bataille historique, c’est bien celui de la suppression du droit du sol. En septembre 2012 déjà, lors d’une conférence sur l’immigration à La Baule, l’ancien président du Front national Jean-Marie le Pen exprimait son souhait de l’abroger, à sa manière : “Quand une chèvre naît dans une écurie, ce n’est pas pour cela qu’elle devient un cheval”.
En 2024, présentée dans le programme pour les législatives “Bardella, Premier Ministre”, cette mesure ferait partie des nombreux “projets de loi portant mesures d’urgence sur l’immigration” proposés par le parti historique de la famille Le Pen.
Cette mesure signifie que naître sur le territoire français ne suffira plus pour obtenir la nationalité française. Censurée par le Conseil constitutionnel dans la dernière loi immigration adoptée fin 2023, elle pourrait tout de même voir le jour.
“Le Conseil a considéré que c’était un cavalier législatif, sans fournir trop d’argumentation sur le fond. Ça ne dit rien de ce que le Conseil pourrait dire dans le futur”, explique Sacha Sydoryk, maître de conférences en droit public à l’Université d’Amiens.
L’expert admet que le Conseil constitutionnel “pourrait essayer [de censurer la mesure, NDLR] avec le principe de fraternité” en se rapportant au préambule, articles 2 et 72-3 de la Constitution. “Le Conseil l’a utilisé quelques fois, notamment pour les questions d’aides aux migrants comme dans l’affaire Cédric Hérou”, ajoute Sacha Sydoryk.
Mais, “la situation est incertaine”, ajoute Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public à l’Université de Poitiers, spécialiste en droit constitutionnel. “Si vous lisez la constitution et tous les textes constitutionnels, s’agissant les droits des étrangers, les dispositions sont relativement imprécises. En pratique, c’est l’interprète qui donne du sens au texte.” Reste que pour notre expert, si le RN arrive au pouvoir, “il prendra soin de respecter toutes les règles de formes et, là, le Conseil constitutionnel devra bien se positionner”.
Une galère administrative ?
Outre la question de la constitutionnalité de cette mesure, elle pourrait avoir des conséquences contraignantes sur toute la population. Pour rappel, cette réforme ne concernerait pas que les étrangers. En effet, si le droit du sol n’existe plus, c’est le droit du sang qui permettra de dire qui est français et qui ne l’est pas. Et ce y compris pour les enfants de français.
A priori donc, en l’état actuel de la proposition du RN, pour prouver sa nationalité française, il faudra démontrer que ses ascendants l’ont aussi. Pour la première génération post-réforme d’une telle suppression, pas de problème : il suffira de fournir les actes de naissance des parents.
Mais pour la génération suivante, il faudra aussi présenter ceux des grands-parents. Et pour la 3ᵉ génération, ceux des arrière-grands-parents. Et ainsi de suite. Comme l’explique Le club de juristes, “rien n’indique que l’administration ou les citoyens soient préparés à cette complexification massive de notre droit”.
Préférence nationale, pas avant 2027 (au moins)
Autre clé de voute du RN, la préférence nationale (rebaptisée priorité nationale en 2012) que l’on retrouve dans le programme à la catégorie “préserver le peuple français de la submersion migratoire” (submersion qui ne repose par ailleurs sur aucune réalité statistique).
En attendant une “réforme constitutionnelle” globale sur le sujet de l’immigration, le parti d’extrême droite souhaite “mettre en place la priorité nationale (si nécessaire par référendum constitutionnel)” précise le programme du parti. Mais est-ce aussi simple ?
D’abord, expliquons ce que sous-entend la priorité nationale. Principe cher à l’extrême droite, il consiste à “préférer les français aux immigrés” pour l’attribution de prestations sociales, de logements ou encore d’emplois, comme le résumait Jean-Marie Le Pen.
Pour l’instant, la préférence nationale est contraire à la Constitution. En avril, la haute juridiction a rejeté une proposition de référendum d’initiative partagée (RIP) sur le sujet.
Sauf qu’“en droit tout est possible, ce n’est pas concevable d’avoir quelque chose qu’on ne peut pas modifier. Si le RN prend le pouvoir et réussit à instaurer une nouvelle constitution, l’ancienne constitution ne pourra pas y faire grand-chose”, explique Sacha Sydoryk.
Mais modifier la constitution, ce n’est pas aussi simple. Et pour y arriver, le RN assure vouloir s’adresser directement au peuple, comme l’a déjà annoncé plusieurs fois Jordan Bardella, en s’appuyant sur l’article 11 de la constitution.
Sauf que cet article 11 n’est pas celui prévu pour les révisions constitutionnelles. Si le général Charles de Gaulle l’a bien utilisé à deux reprises en 1962 et 1969 en ce sens, une nouvelle utilisation détournée de cet article serait très probablement retoquée par le Conseil constitutionnel, comme l’ont déjà raconté Les Surligneurs.
Reste alors l’article 89, qui prévoit explicitement la révision de la Constitution. Si le texte ne le précise pas, le président doit de suivre la proposition de révision adoptée par l’Assemblée nationale et le Sénat en convoquant un référendum “selon la doctrine” explique Sacha Sydoryk.
Et si c’est un projet de révision constitutionnelle, l’initiative sera celle du gouvernement et du président de la République, qui décidera ensuite de le soumettre à référendum ou au Congrès (Assemblée nationale et Sénat réunis).
Mais dans ces deux cas de figure, le RN devra avoir une majorité absolue à l’Assemblée nationale, ou alors, faire de gros efforts de rapprochement avec la droite. Car pour l’heure, rien n’indique que le Sénat (dominé par Les Républicains) ne suive le mouvement.
Suppression de l’AME, une fausse bonne idée ?
Enfin, autre proposition du RN relative à l’immigration, le remplacement de l’Aide médical d’État (AME) par l’Aide d’urgence vitale. D’un point de vue juridique et technique, cette réforme est largement envisageable. Mais elle impliquera très certainement une dégradation des conditions sanitaires en France, comme nous allons le voir.
Mais le principal argument du RN à la suppression et au remplacement de l’AME est économique : les dépenses de santé pour les étrangers en situation irrégulière couteraient trop cher.
Dans les faits, l’AME coûte actuellement entre 1,1 et 1,2 milliard d’euros à l’État, selon les statistiques les plus sérieuses et régulièrement citées dans les médias. Soit un peu moins de 0,5 % des 252 milliards consacrés à l’assurance maladie. Bien loin donc de certains chiffres que l’on retrouve sur les réseaux sociaux.
Supprimer cette aide n’impliquerait donc qu’une petite économie. Seulement 700 millions € par an, comme l’indiquait le think tank libéral L’institut Montaigne, contre les 1,5 milliard promis par Marine Le Pen en 2022. Sans compter les “coûts supplémentaires liés à une propagation des affections contagieuses au sein de la population” explique le think tank.
D’autre part, retarder la prise en charge des patients jusqu’à ce qu’ils soient gravement malades pourrait entraîner non seulement un report des dépenses de santé, mais aussi une augmentation de celles-ci. En effet, les soins nécessaires dans des situations critiques seront plus complexes et donc plus coûteux pour la société.
Face au Rassemblement national et à ses mesures très offensives sur l’immigration, la majorité présidentielle et la gauche se positionnent et proposent également des réponses. Nous les détaillerons dans le second volet de notre dossier sur les promesses des partis politiques, sur le thème de l’immigration.
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