Guerre Israël – Hamas : ce que l’on sait de la découverte d’un charnier à Gaza
Autrice : Lili Pillot, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Etienne Merle
Source : Compte Instagram de "Contre Attaque", 22 avril 2024
Sur les réseaux sociaux, plusieurs comptes affirment que la découverte d’un charnier autour de l’hôpital Nasser le 20 avril, au sud de la bande Gaza, témoignent de la cruauté de l’armée israélienne. Certains corps auraient été retrouvés décapités ou mutilés. Mais faute d’enquête indépendante, la prudence est de mise.
L’horreur. Une nouvelle fois. Quelques jours après la découverte d’une fosse commune près de l’hôpital Al-Shifa, dans la capitale du territoire palestinien, la défense civile de Gaza a annoncé en avoir découvert une autre, à proximité de l’hôpital Nasser, dans la ville de Khan Younès, plus au sud.
Selon les dernières informations communiquées le 25 avril par la défense civile de Gaza, environ 400 corps auraient été exhumés depuis le début des excavations, le samedi 20 avril 2024.
Si le bilan reste provisoire, de nombreuses informations sur l’état des dépouilles circulent déjà. Sur Facebook et Instagram, le compte Contre Attaque argue, comme d’autres publications sur Twitter, que “certains cadavres [ont été retrouvés] décapités ou mutilés“, imputant la responsabilité à l’armée israélienne, qui a quitté le site de l’hôpital Nasser 15 jours avant la découverte macabre.
Mais à l’heure actuelle — et par-delà l’effroi — les sources palestiniennes ne mentionnent pas les mêmes éléments et, fautes d’enquêtes indépendantes, il est trop tôt pour affirmer que Tsahal s’est livré à des décapitations sommaires ou à des prélèvements d’organes.
Un seul camp, plusieurs versions
À l’origine de l’information sur la découverte du charnier et des sévices supposés qu’auraient subis les victimes, on trouve le bureau des médias du gouvernement de Gaza, contrôlé par le Hamas.
C’est en tout cas ce qu’indiquent plusieurs médias dont le Middle East Eye, un site d’information britannique sur l’actualité du Moyen-Orient. “Le bureau des médias du gouvernement de Gaza a déclaré que certains des corps retrouvés avaient été décapités et que leur peau et leurs organes avaient été prélevés” écrit le journal dans un article publié sur son site web le dimanche 21 avril.
Le média précise néanmoins, et c’est important, qu’”il n’a pas pu vérifier de manière indépendante l’état des corps”. L’information a ensuite été partagée massivement sur Twitter, Instagram ou encore Facebook.
Informations au compte-gouttes
Le lendemain, une organisation citoyenne palestinienne corrobore cette version auprès du média canadien CBC News : “Les civils de la défense qui ont parlé avec CBC News lundi [22 avril] ont dit qu’ils avaient trouvé des corps décapités ou démembrés et certains avaient les mains liées“, écrit le journal.
Mais le même jour, une autre organisation palestinienne a proposé une version différente. En effet, Yamen Abu Suleiman, le directeur de la défense civile palestinienne à Khan Younès, la ville dans laquelle a été découvert le charnier, confiait à CNN qu'”il y avait des signes d’exécutions sur le terrain. Nous ne savons pas s’ils ont été enterrés vivants ou exécutés. La plupart des corps sont décomposés“. Dans cette interview, le directeur ne mentionne aucune trace de décapitations ni de prélèvements d’organes.
“Signes de tortures”
Trois jours plus tard, la défense civile palestinienne reprend la parole pour apporter de nouveaux détails. Cette fois, l’organisation pointe la responsabilité d’Israël qu’elle soupçonne d’avoir “enterré au moins 20 personnes vivantes dans le complexe médical Nasser […] et enterré les corps dans des sacs en plastique à une profondeur de 3 mètres, ce qui a accéléré leur décomposition“. Elle assure également avoir “découvert des signes de torture sur certains des corps“, mais sans faire mention de décapitations ou de prélèvement d’organe.
Pour l’heure, donc, seules des sources palestiniennes distillent des informations. Et les organisations n’apportent pas les mêmes éléments. En conséquence, il faut rester prudent face aux affirmations qui circulent sur les réseaux sociaux au sujet du charnier de Khan Younès, indépendamment des atrocités commises et documentées durant ce conflit.
Un grand flou
La prudence, c’est aussi ce que préconise Amnesty International, qui explique aux Surligneurs n’avoir “aucune possibilité de vérifier” ces informations. D’autant plus qu'”il n’y a pas de médecin légiste dans la bande de Gaza” précise l’ONG, dans un communiqué publié le 24 avril.
Selon Donatella Rovera, enquêtrice senior pour l’ONG, les interprétations peuvent également être nombreuses, “ne serait-ce que parce qu’il y a des possibilités que de telles mutilations soient dues à une explosion”, explique-t-elle aux Surligneurs.
Sur l’ensemble des personnes interrogées par notre rédaction, qu’elles viennent d’associations ou de la société civile gazaouie, aucune n’a été en mesure de confirmer ou d’infirmer que certains corps exhumés le samedi 20 avril 2024 autour de l’hôpital Nasser auraient été décapités. Et encore moins de pointer la responsabilité de l’armée israélienne.
Israël dément
De son côté, Tsahal clame son innocence. L’armée israélienne assure n’avoir fait que déterrer et ré-enterrer des corps à la recherche de dépouilles d’otages du 7 octobre et “avoir préservé la dignité des défunts“, ajoutant que “les corps examinés n’étant pas ceux d’otages ont été remis à leur place.” Des affirmations, là encore, impossibles à vérifier.
Besoin d’enquête indépendante
Pour faire la lumière autour de cet évènement, Amnesty International, l’ONU, l’Union européenne, la Maison-Blanche, mais aussi la France, ont appelé à l’ouverture d’enquêtes indépendantes et transparentes.
À l’heure actuelle, la situation autour de ce charnier découvert est toujours particulièrement floue. La prudence reste de mise face aux affirmations qui foisonnent sur les réseaux sociaux, tant sur la question des mutilations que sur celle de la responsabilité.
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