La scène parait surréaliste. Face à Gaza bombardée, des civils naviguent sereinement au large, sur un bateau estampillé d’un drapeau israélien. À bord de l’embarcation notamment, une députée israélienne d’extrême droite témoigne de son souhait d’une installation future en territoire gazaoui.

La scène est issue du documentaire Holy Redemption, de la chaine de télévision turque TRT World, diffusé en août 2024. Représentant deux situations diamétralement opposées — un territoire bombardé face à l’insouciance d’une escapade en bateau — l’extrait a choqué un bon nombre d’internautes. Résultat : le court passage du documentaire de 53 minutes a été largement relayé sur les réseaux sociaux. Au prix, parfois, d’approximation et d’exagération.

Pas de visite commerciale ou touristique

Ce documentaire a été diffusé sur la chaîne turque : TRT World, réputée proche du gouvernement de Recep Tayyip Erdoğan. Ce dernier ayant régulièrement pris position contre Israël, le documentaire, et en particulier le passage sur le bateau, sont donc à regarder avec ces éléments à l’esprit.

Pour comprendre le contexte de cette excursion, il faut d’abord savoir quand elle s’est déroulée. D’après le narrateur, le bateau a navigué aux abords de la côte palestinienne juste après une réunion organisée par des colons israéliens à Yavné. L’idée de cette rencontre : se partager différents terrains gazaouis qu’ils ne possèdent pas en tablant sur le départ de la population arabe.

D’après le documentaire, le bateau serait ensuite parti du port d’Ashdod, ville située à une quarantaine de kilomètres au nord de Gaza, pour ensuite longer la côte. Mais le documentaire ne donne pas de date précise.

Contactée par Les Surligneurs, la productrice du film, Aslihan Eker, affirme que cette scène se serait déroulée le 11 décembre 2023. Une date corroborée par ce tweet posté le même jour par la députée israélienne présente sur le bateau, Limor Son Har-Melech.

Au-delà de la date, Aslihan Eker fournit un autre renseignement : l’embarcation n’était pas une croisière au sens stricte. “Le bateau ne consistait pas en une visite commerciale. Il a été préparé par les organisateurs de la conférence pour emmener les futurs colons de Gaza près du rivage, pour qu’ils puissent voir et sentir”, explique-t-elle par message.

Une version que l’on retrouve dans cet article du média de fact-checking américain Snopes. “Si les images semblent authentiques, le “tour en bateau” lui-même n’était pas un exercice commercial régulier, comme l’ont laissé entendre certains messages sur les réseaux sociaux”, écrit le journaliste américain Alex Kasprak.

Montage ou réalité ?

En revanche, une zone d’ombre persiste. Ce voyage a-t-il été organisé dans le but de regarder Gaza sous les bombes ? Difficile à dire.

La voix off de la séquence laisse penser que l’embarcation prend le large en même temps que des bombardements. “Tandis que Gaza est détruite, anéantie sans relâche, ils ont embarqué sur un bateau avec les premières familles prêtes à occuper les terres de ceux qui sont massacrés et affamés”, assène le documentaire.

Une tournure qui crée la confusion. Sur X notamment, des internautes pensent que ces embarcations sont organisées spécialement pour observer les bombardements depuis le large. “Des excursions en bateau touristique au large de Gaza, pour profiter des bombardements sur la population civile”, s’indigne l’un d’entre eux. Une information que rien ne permet de corroborer.

Cette confusion est renforcée par le montage du documentaire, qui alterne plan sur le bateau et plan de bombardements. Pourtant, le reportage ne montre jamais d’images de l’embarcation et de bombes sur une même séquence. Or, une scène tournée à ce moment, puis partagée par la députée Limor Son Har-Melech que nous avons tenté de joindre sans succès, ne laisse apparaître aucune image ni aucun bruit de bombardements.

Alors, montage de la production turque ou véritable excursion pour observer les bombardements ? Sollicitée par Les Surligneurs, la productrice du documentaire n’a pas répondu à cette question.

Une chose est certaine en revanche, le jour de cette sortie en bateau, le 11 décembre 2023, d’importants bombardements ont eu lieu sur la ville palestinienne, comme le montrent différents articles de presse (ici ou ici).

Un phénomène connu mais minoritaire

Comme le rappellent nos confrères de Snopes, les protagonistes du documentaire ne représentent qu’une minorité des Israéliens. En effet, la conférence et la navigation qui s’en est ensuivie, ont été organisées par Nachala, une organisation radicale qui pourrait compter plusieurs milliers de sympathisants et qui milite activement pour une recolonisation de la Palestine et l’expulsion de ses habitants actuels.

S’il est donc impossible d’affirmer avec certitude que ces Israéliens ont assisté à des bombardements sur le territoire palestinien, ce ne serait, en revanche, pas la première fois.

En 2014, un journaliste danois avait diffusé la photo d’un groupe d’Israéliens en train de regarder les bombardements dans la nuit, installés comme au cinéma.

Le phénomène avait aussi été repéré par The Guardian. En 2014, le média britannique rencontrait un groupe d’Israéliens réuni en haut d’une colline, proche de la frontière palestinienne, pour regarder les frappes sur Gaza et boire des bières.

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