Grand oral du bac : les lycéens de Yabné n’ont pas été sous-notés pour antisémitisme d’après l’enquête de l’Éducation nationale
Dernière modification : 18 juillet 2024
Auteur : Nicolas Kirilowits, journaliste
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Lili Pillot, journaliste
Source : Post Facebook, 11 juillet 2024
Sur Facebook, un utilisateur soutient que des élèves du lycée privé Yabné (Paris) ont obtenu de mauvais résultats à leur Grand oral du baccalauréat « parce que juifs ». Une accusation d’antisémitisme grave et contestée catégoriquement par l’enquête menée par le ministère de l’Éducation nationale.
Dans un contexte politique tendu où le sujet de l’antisémitisme fait régulièrement débat, la contestation de notes obtenues au Grand oral du baccalauréat par quinze élèves d’un lycée privé confessionnel juif à Paris, l’établissement Yabné, a nourri de nombreux commentaires sur les réseaux sociaux.
Certains internautes n’ont pas hésité à faire le lien entre mauvaises évaluations et antisémitisme. “Notés volontairement 3/20 ou 4/20 au bac parce que juifs”, écrit notamment un internaute sur Facebook.
Pour répondre à la polémique naissante, Nicole Belloubet, ministre de l’Éducation nationale, a décidé “de lancer des investigations poussées”, selon les termes choisis dans un communiqué de presse en date du 11 juillet. Moins de 24 h plus tard, l’enquête réalisée sur les notes contestées révélait déjà ses résultats. “L’enquête conclut que les élèves du lycée Yabné n’ont pas subi de discrimination”, écrit succinctement sur X la ministre.
Pour arriver à ces conclusions, l’investigation a utilisé “l’angle statistique afin d’établir si la moyenne, la variance et la distribution de celles-ci sont anormalement différentes de celle des autres élèves ayant passé les épreuves dans les mêmes circonstances”, explique le rapport.
Pas d’antisémitisme prouvé
Les Surligneurs se sont procurés ce document de trois pages établi par les équipes du ministère. On peut y lire cette conclusion : “Si certaines élèves ont pu connaître des notes plus faibles à cette épreuve très spécifique du Grand oral qu’à celles d’autres épreuves écrites dans les mêmes matières, rien n’établit que ces notes attribuées par un jury souverain l’auraient été pour des raisons autres que la maîtrise ou l’absence de maîtrise de cet exercice par ces élèves.”
Concrètement, ce sont deux jurys (composés chacun de deux enseignants extérieurs aux lycées des candidats) qui sont mis en cause par les lycéens. Chacun des jurys a évalué des élèves du lycée Yabné mais aussi d’autres établissements. D’après les notes que ces deux jurys ont attribué, il est en effet impossible de confirmer un traitement biaisé pour le lycée confessionnel juif.
Ainsi, d’après les notes du document de l’Éducation nationale, les élèves du lycée Yabné évalués par le premier jury, ont obtenu la moyenne de 12,2 quand les élèves des autres lycées notés, ce même jour, par les mêmes enseignants, ont obtenu 11,3 de moyenne. D’après les notes attribuées par le second jury, la moyenne des lycéens de Yabné s’élève à 11,3 quand celle des candidats des autres lycées atteint 13,1.
Donc, on ne peut pas conclure que les élèves du lycée Yabné sont systématiquement moins bien notés. On rappelle qu’en tout et pour tout, seuls 15 élèves contestent les notes.
Ce sont également les conclusions de la revue Regard qui a analysé les notes des élèves : « En résumé, la sévérité des notes ne dépend ni du jury, ni du lycée d’origine, le lycée Yabné obtenant des notes similaires aux autres lycées, et ceci quel que soit le jury : rien n’indique dans les notes obtenues que les candidats venant du lycée Yabné ont été désavantagés », écrivent nos confrères.
La subjectivité propre à un oral
Ceci dit, la publication de cette enquête n’a pas complètement suffi à calmer la polémique. L’avocat du lycée Yabné, Maître Patrick Klugman a contesté les résultats de l’enquête dans un post sur X et réclamé qu’elle “puisse se poursuivre de manière contradictoire, transparente et approfondie”. Notons, à toutes fins utiles, qu’aucune des publications de Patrick Klugman sur l’affaire n’évoque la notion d’antisémitisme. Les termes “suspicion de discrimination” et “notes discriminatoires” sont en revanche employés dans ce tweet. Ni l’avocat, ni l’établissement n’ont répondu aux sollicitations des Surligneurs.
Du côté des associations juives de France, la prudence reste de mise sur ce cas particulier. Juste avant les résultats de l’enquête, Patrick Petit-Ohayon, le directeur de l’action scolaire du Fonds Social Juif Unifié s’était exprimé dans un article de Marianne. “On ne peut totalement exclure un motif antisémite, mais je suis extrêmement prudent […]. Les élèves qui se disent discriminés n’ont fait remonter aucune remarque antisémite de la part du jury ou autre question bizarre lorsqu’ils ont été interrogés courant juin. Ces soi-disant remarques sont apparues, soudain, ce jeudi 11 juillet sur les réseaux sociaux sans qu’on puisse en retrouver la source.”
Le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) nous a indiqué de son côté “ne pas vouloir communiquer sur les résultats de l’enquête”.
Même si le ministère de l’Éducation nationale assure aux Surligneurs que “l’affaire est close”, cette polémique a déclenché de forts remous également chez les enseignants.
Dans un communiqué, le Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur (SNALC) s’est dit “horrifié de l’emballement médiatique qui s’est produit suite à une rumeur concernant l’épreuve du grand oral. Sur la base de rien, des jurys d’examen ont été non seulement soupçonnés d’antisémitisme, mais également traités comme si les accusations étaient déjà avérées, avant même l’enquête diligentée par la ministre.” Pour le syndicat, c’est l’examen-même du Grand oral qu’il faut remettre en cause, car l’épreuve “dysfonctionne tant dans sa préparation que dans son évaluation”.
Une épreuve dans laquelle la subjectivité pourrait parfois prendre le pas sur l’objectivité, comme sur les réseaux sociaux en somme.
[Mise à jour le 18 juillet 2024 après la parution de l’article de la revue Regards. Ajout du paragraphe : « Ce sont également les conclusions de la revue Regard qui a analysé les notes des élèves : « En résumé, la sévérité des notes ne dépend ni du jury, ni du lycée d’origine, le lycée Yabné obtenant des notes similaires aux autres lycées, et ceci quel que soit le jury : rien n’indique dans les notes obtenues que les candidats venant du lycée Yabné ont été désavantagés », écrivent nos confrères ».]
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