Gérald Darmanin parle d' »écoterrorisme » pour qualifier les manifestants de Saint-Soline
Autrice : Marie-Sarah Beherlet, master de droit pénal approfondi, Université de Lorraine
Relecteur : Jean-Baptiste Thierry, maître de conférences, Université de Lorraine
Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani et Loïc Héreng
Source : Le Monde, 03 novembre 2022
Dimanche 30 octobre, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a commenté les heurts de Saint-Soline entre forces de l’ordre et manifestants opposés aux mégabassines, ces réserves de substitution destinées à l’irrigation agricole. Des blessés ont été dénombrés des deux côtés. Selon les dires du ministre, ces affrontements motivés par des convictions écologistes laissent autant à craindre que le terrorisme djihadiste. Or, qualifier ces faits de terrorisme est juridiquement faux.
La qualification juridique d’« écoterrorisme » n’existe pas dans le droit pénal français. Qualifier les faits dénoncés de terrorisme au sens du Code pénal est également impossible. Plusieurs infractions paraissent juridiquement plus adaptées.
L’écoterrorisme, ce serait semer la terreur en polluant pour tuer des humains
Le Code pénal prévoit que pour définir un acte de terrorisme, plusieurs conditions doivent être réunies. Il est nécessaire que l’infraction soit « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur« . À l’évidence, ce n’est pas le cas ici, même si les blessés au sein des forces de l’ordre furent nombreux.
Le Code pénal envisage expressément le cas du « terrorisme écologique« mais il s’agit d’une infraction totalement différente de l’« éco-terrorisme » tel que l’envisage le ministre de l’Intérieur. Alors que Gérald Darmanin évoque le fait, pour des militants écologistes, de commettre des infractions contre les forces de l’ordre. Le Code pénal punit au contraire le fait « d’introduire dans l’atmosphère, sur le sol, dans le sous-sol, dans les aliments ou les composants alimentaires ou dans les eaux, y compris celles de la mer territoriale, une substance de nature à mettre en péril la santé de l’homme ou des animaux ou le milieu naturel« . Surtout, il faut prouver une intention terroriste, c’est-à-dire une intention « de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur« .
Laurent Nuñez, préfet de Paris, défend l’idée que le mot valise « écoterrorisme » est uniquement utilisé en interne dans le but de désigner des « individus qui développent une forme de radicalité violente autour de la cause écologiste, telle qu’ils l’entendent« . Néanmoins l’enjeu n’est pas que sémantique, il est aussi juridique. Qualifier des actes de terrorisme revient à mettre en œuvre une procédure pénale d’exception, la plus dérogatoire et répressive de l’arsenal judiciaire : gardes à vue prolongées, perquisitions facilitées, techniques spéciales d’investigations autorisées… Les libertés individuelles sont fortement atteintes, ce qui se justifie par la gravité des infractions en cause. C’est pourquoi seule la procédure pénale ordinaire peut être appliquée à l’affaire de Saint-Soline afin de réprimer les comportements troublant l’ordre public dans le respect des garanties procédurales essentielles.
Des infractions multiples mais à l’évidence pas de terrorisme
Thomas Portes, député La France Insoumise, défend quant à lui la qualification juridique de manifestation définie comme étant une réunion organisée sur la voie publique dans le but d’exprimer une conviction collective. Les faits dénoncés correspondent donc bien à une manifestation car plusieurs personnes se sont réunies de manière organisée sur la voie publique afin d’exprimer leur conviction écologique concernant les « mégabassines ».
Toutefois, cette manifestation n’ayant pas été autorisée, il est possible de se tourner vers la qualification pénale d’attroupement défini comme étant tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l’ordre public. Dans le cas présent, 40 personnes réunies dans un lieu public sont concernées et un trouble à l’ordre public est avéré du fait des altercations avec les forces de l’ordre.
Au demeurant, dire qu’il ne s’agit pas de terrorisme n’empêche pas de retenir de nombreuses infractions, qu’il s’agisse par exemple de violences en réunion sur des personnes dépositaires de l’autorité publique, de la participation à un groupement violent, de la destruction ou dégradation des canalisations (qui peut en outre être aggravée si elle est dangereuse pour les personnes), de la rébellion.
Ainsi il est possible de poursuivre ces manifestants pour punir le trouble à l’ordre public causé selon la procédure pénale ordinaire. De cette manière et contrairement à la procédure pénale extraordinaire prévue pour le terrorisme, les outils juridiques utilisés ne seront pas démesurément attentatoires aux droits individuels et les garanties essentielles de la procédure seront conservées.
Contacté, Gérald Darmanin n’a pas répondu à nos sollicitations.
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