Crédits photo : Pierrot75005, CC 4.0

Gérald Darmanin demande aux préfets de faire en sorte que toute déclaration de manifestation de la part d’un militant ou d’une association d’ultradroite fasse l’objet d’un arrêté d’interdiction

Création : 10 mai 2023

Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay 

Relectrice : Isabelle Muller-Quoy, maître de conférence en droit public, Université de Picardie Jules Verne

Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng et Emma Cacciamani



Source : BFMTV, le 9 mai 2023

Non seulement le ministre de l’Intérieur ne peut empiéter sur les pouvoirs de police que les préfets tiennent de la loi, mais ces derniers ne peuvent interdire toute manifestation d’un courant de pensée par principe

Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a été interpellé le 9 mai à l’Assemblée à propos du défilé d’ultradroite à Paris le 8 mai, qui a choqué en raison des insignes et autres postures néofascistes constatés, en plus des cagoules interdites dans l’espace public. Il a jugé ce type de manifestation inacceptable, mais a justifié l’absence d’interdiction par une décision du tribunal administratif du 7 janvier 2023 qui avait suspendu un précédent arrêté préfectoral interdisant précisément une manifestation d’ultradroite, car les risques de troubles à l’ordre public n’étaient pas démontrés.

Le ministre ayant ainsi expliqué l’inaction du préfet de Paris a ensuite annoncé que dorénavant, il demanderait à tous les préfets de prononcer des arrêtés d’interdiction chaque fois qu’une déclaration de manifestation serait établie par une personne ou une association d’ultradroite. Ce qui pose deux problèmes.

Un ministre ne peut ordonner aux préfets d’interdire par principe

Le Code de la sécurité intérieure prévoit que « si l’autorité investie des pouvoirs de police (et donc le préfet en l’occurrence) estime que la manifestation projetée est de nature à troubler l’ordre public, elle l’interdit par un arrêté qu’elle notifie immédiatement aux signataires de la déclaration au domicile élu ». La loi confère donc au seul préfet le pouvoir de vérifier qu’une manifestation déclarée est susceptible de provoquer des troubles à l’ordre public, et de l’interdire s’il « estime » que tel est le cas. 

Le risque de trouble s’apprécie donc par le seul préfet sur le terrain, au cas par cas, par l’analyse des faits au moment où ils se produisent, et pas à l’avance, par principe. Donc le ministre de l’Intérieur, en ordonnant aux préfets d’interdire systématiquement et par principe, empiète sur les pouvoirs légaux des préfets.

Les préfets ne peuvent interdire qu’en cas de risque de trouble

« La liberté est la règle, la restriction de police l’exception » : cette célèbre formule date de 1917, sous la plume d’un conseiller d’État. Donc il n’est pas possible d’interdire par principe une manifestation. 

L’interdiction ne peut être prononcée que si trois conditions sont réunies : elle doit être nécessaire au vu des circonstances locales, ce qui se décide au cas par cas. L’interdiction doit être la seule mesure adéquate, au sens où elle permet d’éviter le trouble (ce qui est le cas pour les manifestations porteuses de troubles). Surtout, l’interdiction doit être proportionnée au sens où elle serait le seul moyen d’éviter le trouble à l’ordre public. Autrement dit, était-il possible de laisser la manifestation se dérouler, avec des mesures moins strictes comme une limitation du parcours (contourner certains lieux), ou le renforcement des contrôles ? Cette proportionnalité s’évalue là encore au cas par cas, jamais de façon générale et absolue comme l’a ordonné le ministre. 

Gérald Darmanin veut-il faire changer le juge d’avis ?

À la fin de son intervention à l’Assemblée nationale, le ministre de l’Intérieur, après avoir sommé les préfets d’interdire les manifestations d’ultradroite, a semblé défier les juges : « nous laisserons les tribunaux juger » (et donc porter la responsabilité de ces images choquantes néofascistes dans les rues). C’est un pari risqué. À circonstances similaires, le juge suspendra tout arrêté d’interdiction qui ne démontre pas les risques de trouble, en somme toute interdiction de principe. 

Toutefois, le défilé d’ultradroite du 8 mai a donné lieu à des comportements illégaux, en particulier des manifestants cagoulés et des postures nazies ou néofascistes. Suivant une jurisprudence inaugurée dans l’affaire Dieudonné en 2014, si le même individu ou le même mouvement déclarait une nouvelle manifestation à Paris ou ailleurs, le préfet pourrait alors se servir de ce précédent du 8 mai pour l’interdire et ainsi éviter la réitération d’un trouble à l’ordre public. 

Contacté, le ministre de l’Intérieur n’a pas répondu à notre sollicitation.

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