Paris sous les déchets : Gérald Darmanin demande à la maire de Paris de réquisitionner les agents grévistes
Auteur : Guillaume Baticle, master de droit public, Université de Picardie Jules Verne
Relectrice : Isabelle Muller-Quoy, maître de conférence en droit public, Université de Picardie Jules Verne
Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng et Emma Cacciamani
Source : BFM-TV, le 14 mars 2023
La Ville de Paris est responsable de la gestion des déchets et de la salubrité publique. Si elle peut prendre certaines mesures pour limiter les risques sanitaires. C’est en revanche au préfet de police de réquisitionner les agents grévistes si besoin.
Dans un contexte de mouvement social face au projet de réforme des retraites, les éboueurs de Paris faisant grève, les déchets s’entassent dans les rues de la capitale. Chacun s’en renvoie la faute. A qui incombe vraiment la responsabilité de la gestion des déchets à Paris, et qui peut, au besoin, réquisitionner les agents grévistes ?
Qui gère les déchets à Paris ?
En règle générale, la gestion des déchets est une compétence des intercommunalités. Mais la Ville de Paris est un cas particulier car c’est à elle qu’incombe cette responsabilité. Pour assumer cette tâche, elle a choisi plusieurs modalités selon les arrondissements. Ainsi c’est la ville elle-même, avec ses agents publics et ses matériels, qui assure le ramassage des déchets pour les 2e, 5e, 6e, 8e, 9e, 12e, 14e, 16e, 17e et 20e arrondissements (on parle de gestion en régie). Pour les autres arrondissements, elle a choisi de déléguer ce service public à des sociétés prestataires privées, avec des employés de droit privé. Bien qu’ils soient les interlocuteurs les plus proches des administrés et qu’ils soient consultés, les maires d’arrondissement n’ont aucune compétence en la matière.
La situation est donc assez binaire : seuls les agents publics étant en grève, l’amoncellement des ordures ne touche que les arrondissements où le ramassage se fait en régie, épargnant les autres, et des problèmes d’ordre sanitaire ont commencé à se poser.
Gestion des risques sanitaires à Paris
Indépendamment de la grève du service public et de ses conséquences sur les usagers, lorsqu’il existe un risque sanitaire, les autorités ont le devoir d’intervenir pour pallier ces risques sanitaires, il en va de l’ordre public : tout incident (par exemple une contamination, un accident lié à l’amoncellement) aboutirait à engager la responsabilité de la ville à l’égard des victimes. Cela explique que le ministre Gérald Darmanin, en charge de l’ordre public, ait demandé à la maire de Paris d’agir, au besoin en réquisitionnant les agents grévistes. Mais elle n’a pas ce pouvoir.
En cas de risque sanitaire lié à la grève, le maire peut prendre des mesures limitées par la loi
À la différence des autres maires de France, le maire de Paris a peu de pouvoir en matière de police administrative. C’est le préfet de police qui exerce l’essentiel de la police à Paris, pour des raisons en partie historiques. La Ville dispose toutefois d’un pouvoir de police en matière de « salubrité sur la voie publique« . Elle peut donc prescrire les mesures nécessaires à la sauvegarde de l’ordre public, par exemple en interdisant certaines activités, en réglementant les dépôts d’ordures, et aussi en faisant intervenir ses agents en cas de problème sanitaire (quand ils ne sont pas en grève).
Mais la loi ne mentionne pas les réquisitions. Les réquisitions sont des entorses au droit de grève, et elles ne peuvent être décidées en dehors de la loi. Cela signifie que si la loi qui énumère les pouvoirs de police de la maire de Paris ne mentionne pas les réquisitions, la maire de Paris ne peut pas réquisitionner ses agents.
Elle pourrait toutefois demander aux sociétés privées des arrondissements où le ramassage se fait encore, d’aller ramasser les déchets dans les arrondissements touchés par les grèves, pour des raisons d’ordre public sanitaire, à condition de limiter cette intervention à la suppression des risques les plus élevés (dans les lieux très fréquentés par des enfants par exemple).
Seul le préfet peut réquisitionner
Si la salubrité de la voie publique est compromise et que la mairie n’intervient pas après mise en demeure, la loi permet au préfet de police de se substituer au maire et de prendre les mesures nécessaires. Or la maire de Paris a bien été mise en demeure d’agir, même si curieusement c’est le ministre qui a fait la demande et semble-t-il pas le préfet de police.
Selon la même loi, le préfet peut, « en cas d’urgence, requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service ». C’est dans ce cadre que le préfet de police Laurent Nuñez a ordonné la réquisition des agents grévistes, après le refus de la maire de Paris Anne Hidalgo.
Pour résumer, la Ville de Paris est compétente pour la gestion des déchets et dispose d’un pouvoir de police administrative pour sauvegarder la salubrité sur la voie publique. Le préfet de police n’intervient que si l’action de la mairie est insuffisante, et peut alors aller jusqu’à réquisitionner les agents grévistes.
Contacté, le ministère de l’Intérieur n’a pas répondu à notre sollicitation.
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