Gérald Darmanin : “aujourd’hui nous ne pouvons pas fermer des lieux de culte où des discours de haine sont portés”
Dernière modification : 21 juin 2022
Auteur : Lilian Aubry, master 1 droit public des affaires, Université Lyon III, sous la direction de Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay
Source : France 2, Vous avez la parole, jeudi 11 février 2021, 21h39/35’
Une loi du 30 octobre 2017 permet déjà d’ordonner la fermeture des lieux de culte où sont proférés des discours haineux, mais seulement si ces propos sont en lien avec le terrorisme (encouragement, apologie). D’ailleurs M. Darmanin en a fait usage. Le projet de loi actuel vise les lieux de culte où sont proférés des propos haineux, sans lien avec le terrorisme.
Le jeudi 11 février 2021, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, pour répondre au sénateur du Rassemblement national Stéphane Ravier sur le fait qu’une mosquée de Marseille soit toujours ouverte, a déclaré qu’en l’état actuel du droit il n’était pas possible de fermer les établissements religieux où des discours de haine sont prononcés.
Si comme le disait Sénèque, “la nécessité fait la loi du moment”, il est vrai que le projet de loi confortant le respect des principes de la République, inspiré par les récents événements dramatiques, se veut plus sévère à l’égard de certains usages de la liberté d’expression. Mais M. Darmanin omet de mentionner l’article L. 227-1 de la loi du 30 octobre 2017, qui permet déjà la fermeture de lieux de culte diffusant des incitations à la haine. Cette disposition a d’ailleurs permis de fermer une mosquée de Pantin en décembre 2020 sur proposition de M. Darmanin.
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L’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure prévoit déjà qu’aux “seules fins de prévenir la commission d’actes de terrorisme”, le préfet, “peut prononcer la fermeture des lieux de culte dans lesquels les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la violence, à la haine ou à la discrimination, provoquent à la commission d’actes de terrorisme ou font l’apologie de tels actes”.
Cet article résulte de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure (CSI) et la lutte contre le terrorisme. Il a été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel le 29 mars 2018 : il “n’est pas manifestement déséquilibré entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et, d’autre part, la liberté de conscience et le libre exercice des cultes”. Ainsi, ce texte a permis la fermeture de la Salle des Indes de Sartrouville, du Centre Zahra France de Grande-Scynthe ou encore de la mosquée As Sounna de Marseille, considérés pour la première comme un foyer ancien de l’Islam radical, et pour les deux autres comme légitimant le djihad armé. Il est donc déjà possible de fermer tout lieu de culte au sein duquel sont proférés des discours de haine, mais seulement s’ils sont en lien avec le terrorisme.
Ainsi, M. Darmanin n’a pas tort sur le fond : en l’état actuel du droit, il n’est pas possible de fermer un lieu de culte en raison de propos appelant par exemple les jeunes filles à refuser d’aller à la piscine avec les garçons, ou plus généralement véhiculant des idées racistes, homophobes, sexistes, etc., mais sans inciter au terrorisme. Ainsi, il aurait été possible sur la base du droit existant de fermer un lieu de culte dans lequel un imam appelle à “punir” des enseignants.
Tous les actes haineux ne sont pas des actes incitant au terrorisme mais tous les actes incitant au terrorisme sont des actes haineux. En cela l’article 44 du projet de loi défendu par M. Darmanin donne plus de latitude aux préfets pour fermer un lieu de culte, que l’article L. 227-1 du CSI. Cela explique sûrement que la durée de fermeture maximale soit de deux mois, (contre six en cas d’appel au terrorisme), afin de ne pas trop menacer la liberté d’expression. Il restera alors au juge à apprécier la notion de “haine”.
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