Gaza : non, l’ONU n’a jamais dit que 87 % de l’aide humanitaire était pillée par le Hamas
Auteur : Etienne Merle, journaliste
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Etienne Merle, journaliste
Source : Compte Facebook, le 18 août 2025
Sur les réseaux sociaux, des internautes pro-israéliens affirment que l’ONU aurait déclaré que 87 % de l’aide humanitaire envoyée à Gaza est détournée par le Hamas. C’est faux. L’ONU n’a jamais fait une telle déclaration, et ce chiffre provient sans doute d’une interprétation trompeuse de statistiques onusiennes.
Depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, les chiffres liés à l’aide humanitaire sont devenus des armes de communication. Le 21 mai 2025, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a affirmé que le Hamas « a pillé une part considérable de l’aide et vend le reste à des prix exorbitants pour financer son armée terroriste ».
Cette rhétorique a notamment servi d’argument pour justifier un blocus partiel de l’aide alimentaire. Dans ce climat tendu, des comptes pro-israéliens ont relayé sur Facebook une affiche affirmant que « 87 % de l’aide humanitaire [serait] pillée par le Hamas », en attribuant cette statistique à l’ONU. Or, l’organisation internationale n’a jamais tenu de tels propos.
Que disent vraiment les statistiques de l’ONU ?
D’où vient alors ce fameux chiffre de 87 % ? Il provient sans doute du site UN2720, la plateforme onusienne de suivi logistique des convois d’aide vers Gaza. Selon nos confrères de France 24, les données accessibles en août 2025 indiquaient qu’environ 88 % de l’aide avait été « interceptée » avant d’arriver à destination, un chiffre aussitôt récupéré et déformé sur les réseaux sociaux.
Depuis, les statistiques ont évolué : au 28 septembre 2025, UN2720 fait état de 6 039 camions déchargés aux points de passage (offloaded), 7 823 camions collectés (collected), mais seulement 1 499 camions arrivés à destination (arrived).
Dans le même temps, 6 426 camions ont été « interceptés » (intercepted), c’est-à-dire stoppés en cours de route, soit pacifiquement par des civils affamés, soit par la force d’acteurs armés, selon le glossaire officiel du site, sans qu’il soit précisé de quels acteurs il s’agit.
Rapporté aux 1 499 camions arrivés à bon port, cela représente environ 81 % d’aide interceptée contre 19 % effectivement distribuée. Si l’on raisonne en poids ou en palettes, les proportions sont comparables (74 329 tonnes interceptées contre 15 224 tonnes arrivées, soit près de 83 % interceptées).
Ces chiffres illustrent l’ampleur des pertes en cours de route, mais ils ne permettent en aucun cas d’attribuer ces interceptions au Hamas. « L’ultra majorité des pillages sont du fait de civils palestiniens affamés », assure Louis-Nicolas Jandeaux, responsable plaidoyer chez Oxfam France qui compte encore « une trentaine de collaborateurs » en Palestine. « La raison de ses pillages, ce sont principalement les restrictions à tous les niveaux imposées par Israël : des restrictions sur le contenu de l’aide, sur la circulation. C’est cette situation qui entraîne inévitablement des incidents ».
La preuve, selon le responsable de plaidoyer, c’est que lorsque l’acheminement est facilité, les pillages chutent. Ainsi, durant la trêve de fin novembre 2024, plus de 2 400 camions d’aide ont pu entrer à Gaza en une semaine : l’ONU a alors observé seulement des « incidents mineurs de pillage, mais pas comme auparavant », et aucun « problème apparent d’ordre public », rapportait Reuters en janvier 2025.
Des estimations divergentes, mais très éloignées des 87 %
Par ailleurs, les autorités israéliennes ont avancé leur propre évaluation. Le 12 juin 2025, l’armée israélienne assurait, par communiqué de presse, que « le Hamas a décidé qu’une part variable (de 15 % à plus de 25 %) de l’aide humanitaire entrant dans la bande de Gaza serait automatiquement détournée vers l’organisation terroriste et ses besoins. ». Ainsi, même selon Israël, on est loin du chiffre de 87 %.
Du côté américain, l’USAID, l’ancienne agence de développement supprimée par Donald Trump en juillet 2025, avait conclu, le mois précédent, qu’il n’existait « pas de preuves de vols systématiques » de l’aide financée par les États-Unis par le Hamas, après l’analyse de 156 incidents survenus entre octobre 2023 et mai 2025, rapporte Reuters.
Ainsi, l’affirmation selon laquelle « 87 % de l’aide humanitaire envoyée à Gaza est pillée par le Hamas », ne s’appuie sur aucune preuve solide. Elle résulte d’une lecture biaisée des statistiques d’UN2720, qui comptabilisent les cargaisons interceptées, sans préciser l’identité des responsables. L’ONU et son agence humanitaire OCHA n’ont jamais publié ni validé ce chiffre.