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Gaël Perdriau (maire de Saint-Etienne), chantage à la sextape et demande de révocation : « Ma grande force, c’est mon innocence »

Création : 31 janvier 2024
Dernière modification : 5 février 2024

Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucune

Relectrice : Isabelle Muller-Quoy, maître de conférences en droit public, Université de Picardie Jules Verne

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucune

Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle

Source : Le Figaro, 30 janvier 2024

La suspension ou la révocation d’un maire par le gouvernement ne sont pas subordonnées à sa culpabilité établie par un juge. Une mise en examen peut suffire si l’affaire fait perdre toute autorité morale au maire et entrave la gestion municipale. En l’occurrence, cette condition ne semble toutefois pas remplie.

Gaël Perdriau est maire de Saint-Etienne. Plusieurs fois mis en examen dans une affaire du chantage à la sextape contre son premier adjoint qui secoue la ville depuis quelques mois, il rejette les appels à la démission qui fusent. Les élus d’opposition en sont donc venus, ce lundi 29 janvier, à adresser une lettre au Premier ministre afin qu’il déclenche une procédure de suspension ou de révocation du maire. Ce dernier tient bon : « ma grande force, c’est mon innocence« . Peut-être, mais s’agissant de la procédure de suspension ou de révocation par le gouvernement, cela ne suffit pas.

Un maire peut être suspendu ou révoqué par le gouvernement

Aussi surprenant que cela puisse paraître dans un pays dont la Constitution dispose dès l’article premier que « son organisation est décentralisée« , l’article L. 2122-16 du code général des collectivités territoriales (CGCT) prévoit que le maire et les adjoints « peuvent être suspendus par arrêté ministériel motivé pour une durée qui n’excède pas un mois. Ils ne peuvent être révoqués que par décret motivé pris en conseil des ministres« . Cette sanction ne peut être prononcée qu’après avoir entendu ou invité les intéressés à « fournir des explications écrites sur les faits qui leur sont reprochés« .  Bien qu’il date sur le fond de 1833, ce texte n’a pas été considéré comme contraire à la Constitution de 1958 et le principe de libre administration des collectivités territoriales qu’elle porte (article 72).
C’est sur cette base juridique que les élus municipaux d’opposition de Saint-Etienne ont saisi le Premier ministre.

La suspension ou la révocation ne sont pas subordonnées à la culpabilité

L’article L. 2122-16 n’est pas de nature pénale. Il n’a pas pour vocation de sanctionner un maire ou un adjoint en raison d’une infraction qu’ils auraient commise, mais d’assurer la continuité de la gestion municipale lorsqu’elle est entravée par un dysfonctionnement dû à ce maire ou à cet adjoint.
C’est pourquoi la présomption d’innocence d’un maire par ailleurs mis en examen n’est en rien une garantie contre sa suspension ou sa révocation.
Toute comparaison n’étant pas raison, on peut citer dans ce sens une affaire dans laquelle le Conseil d’Etat avait validé la révocation d’un maire condamné à deux ans de prison dont 23 mois avec sursis pour attentat à la pudeur sur mineures de moins de 15 ans, et cela malgré le pourvoi en cassation encore en cours : selon le Conseil d’Etat (12 juin 1987), « la gravité des faits qui lui étaient reprochés le privait de l’autorité morale nécessaire à l’exercice de ses fonctions« .
Dans un autre cas de révocation validé par le juge, le maire fut poursuivi puis condamné pour des faits de faux, usage de faux et escroquerie, usant de ses fonctions pour falsifier un permis de construire aux fins d’obtenir une grosse subvention publique. Alors même que la condamnation n’était pas définitive, le Conseil d’Etat estima que cette affaire privaient l’intéressé « de l’autorité morale nécessaire à l’exercice de ses fonctions de maire » (26 février 2014).

(Très) peu de chances que le gouvernement accepte

Cela précisé, il faut tout de même tempérer : la différence entre le cas de Saint-Etienne et ceux évoqués précédemment est que Gaël Perdriau n’est pas condamné mais seulement mis en examen. Cela n’empêche pas le gouvernement d’agir, si la gestion municipale est fortement entravée, mais ce n’est pas le cas en l’occurrence.  Suspendre ou révoquer au seul stade de la mise en examen reviendrait indirectement à préjuger de la culpabilité de l’intéressé, alors qu’aucun juge n’a statué.
Dans ces conditions, la demande des élus d’opposition n’a pratiquement pas de chances d’aboutir. Et de son côté le juge peut annuler une révocation ou une suspension injustifiée, mais il ne peut pas contraindre le gouvernement à la prononcer…

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