Fusillades aux États-Unis : ce qui bloque pour faire bouger la législation sur les armes à feu

Création : 3 juin 2022
Dernière modification : 27 juin 2022

Auteur :  Anaïs Flaire, master de droit européen, Université Paris-Est-Créteil

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris Saclay 

Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani et Charles Denis

De fusillade en fusillade, les Américains regardent impuissants le massacre continuer sur la base du deuxième amendement de leur Constitution : le droit de détenir et d’utiliser une arme à feu. Et ce n’est pas près de bouger.

Depuis le début de l’année 2022, deux cent treize fusillades de masse sont survenues aux États-Unis, la dernière en date étant celle du 24 mai visant une école au Texas, et qui a fait une vingtaine de victimes dont la plupart étaient des enfants. La liberté de posséder et d’utiliser une arme est un droit garanti par le deuxième amendement de la Constitution américaine auquel un certain nombre de citoyens américains sont très attachés, sous l’effet notamment de la NRA, le lobby des armes. Un droit désormais gravé dans le marbre, puisque la Cour suprême l’a largement étendu avec sa décision historique du 23 juin. Que reste-t-il du cri lancé par le président américain Joe Biden au lendemain de la tuerie de Uvalde : « Quand, pour l’amour de Dieu, allons-nous affronter le lobby des armes ? Ne me dites pas qu’on ne peut rien faire contre ce carnage » ?

Face au nombre d’actes de violence faite par arme à feu, de nombreuses figures politiques ont essayé de restreindre ce droit, sans pour autant y parvenir.

LA CONSTITUTION AMÉRICAINE PROTÈGE LA DÉTENTION ET L’UTILISATION DES ARMES À FEU

Les États-Unis sont un pays dont la législation et le système judiciaire doivent être appréciés à deux niveaux, au niveau fédéral et au niveau fédéré, selon le dixième amendement de la Constitution américaine. En ce qui concerne les armes à feu, la liberté d’en posséder et de les utiliser a un fondement historique depuis l’indépendance, à savoir la liberté voire le devoir, pour  le peuple américain, de constituer une milice organisée pour contribuer à la sécurité d’un État libre

Chaque État américain a donc sa propre législation en matière d’armes à feu et c’est le pouvoir local qui décide si le port d’une arme nécessite un permis. Dans la plupart des États, conformément à la loi Brady ou Brady Act de 1993, un permis est nécessaire. Il est délivré sous certaines conditions, telles qu’avoir 21 ans, être résident de l’État en question, fournir ses empreintes digitales, se soumettre à une vérification de son casier judiciaire, payer une cotisation ou encore participer à un cours de préparation au maniement des armes. De plus, les lois des états fédérés diffèrent également quant à la définition même de l’arme à feu. 

Les différences entre les législations conduisent inévitablement à des litiges, et ce sont les tribunaux fédéraux (à l’échelle des Etats-Unis donc) qui vérifient si les lois des Etats fédérés sont bien conformes au second amendement. Or la Cour suprême a interprété le second amendement dans un sens toujours plus libéral : les États-Unis étant désormais un pays libre, le droit de porter une arme ne se justifie plus par l’idée d’indépendance, mais par la simple autodéfense. Ainsi, dans une décision célèbre aux États-Unis (District of Columbia v. Heller), la Cour suprême a jugé en 2008 que “Le deuxième amendement protège le droit individuel de posséder une arme à feu sans pour autant servir dans la milice, et d’utiliser cette arme dans la limite des dispositions prévues par la loi, telle que l’autodéfense au sein de sa maison” et “que la législation d’un état fédéré bannissant les armes de poing chez soi viole le deuxième amendement”. Cette décision de la Cour a permis aux États fédérés américains de rendre leurs législations toujours plus laxistes concernant la détention et l’utilisation des armes.

Et c’est là qu’intervient  la décision de la Cour Suprême des Etats-Unis du  23 juin 2022, par laquelle elle a invalidé une loi de l’Etat de New York restreignant le port d’armes. Par ce revirement, la Cour consacre le droit des Américains à sortir armés en dehors de leur domicile. La décision a été prise à une majorité de six juges sur neuf, les six étant tous conservateurs. La loi new yorkaise était en vigueur depuis 1913 et elle limitait le port d’armes de poing en dehors de son domicile. En effet, pour obtenir une licence de port d’armes ou encore porter une arme en dehors de son domicile, il fallait que soit rempli le critère de “raison valable” ou “proper-cause” en anglais. La Cour suprême a jugé que cette loi locale violait le droit individuel à la possession et au port d’armes, garanti par le deuxième amendement de la Constitution.

TOUT RENFORCEMENT DE LA LÉGISLATION CONTRE LES ARMES À FEU EN CONFLIT AVEC LE DEUXIÈME AMENDEMENT 

Après chaque fusillade est soulevée la question de l’adoption d’une législation plus restrictive en matière d’armes à feu. La législation américaine a, au fil des décennies, évolué, avec des lois encadrant le port et l’utilisation des armes à feu. En 1968 a été adopté le Gun Control Act, qui prévoit notamment la conservation de l’identité des propriétaires des armes avec leur âge et adresse, ainsi que l’interdiction de vente d’armes aux criminels et étrangers illégaux. Le Gun-Free School Zones Act de 1990 a ensuite interdit à toute personne non autorisée de porter une arme à feu, chargée ou non, dans une zone scolaire comprenant les écoles primaires et secondaires publiques, privées et paroissiales.

Puis il y a eu l’obligation de vérifier les antécédents de chaque personne souhaitant acheter une arme à feu grâce au Brady Act de 1993 qui prévoit aussi un délai d’attente de cinq jours lors de chaque achat. Le Federal Assault Weapons Ban de 1994 interdit la fabrication à des fins civiles d’armes d’assaut ainsi que de certains chargeurs de munitions de grande capacité. Enfin, le Domestic Violence Offender Gun Ban de 1997 interdit quant à lui aux personnes reconnues coupables d’un délit de violence domestique de détenir une arme.

Malgré ces législations, les actes de violence par arme à feu continuent. De plus, il est très difficile pour le Congrès américain de renforcer ces législations du fait de la forte opposition entre les démocrates (qui sont pour la plupart pour le renforcement de l’encadrement des armes à feu) et les républicains (qui sont pour beaucoup contre). Une illustration est  le cas du Assault Weapons Ban de 2013 : un projet de loi présenté au Congrès des États-Unis par la sénatrice Dianne Feinstein en 2013 a été rejeté au Sénat par 40 voix contre 60. 

Si de nombreuses tentatives de réforme de la législation sur les armes à feu ont été initiées, très peu ont abouti au Congrès, notamment à cause de la très forte influence de la National Rifle Association (NRA), le lobby américain des armes à feu et dont le but premier est de protéger le deuxième amendement de la Constitution. Ce lobby a développé dans les années 1970 une très forte influence politique chez les conservateurs, en particulier par le financement des campagnes électorales, tant au niveau local qu’au niveau fédéral. La NRA finance notamment les frais de campagne des congressistes républicains, qui en contrepartie s’interdisent de durcir la législation relative aux armes à feu.

C’est donc notamment à cause de l’influence et des pressions exercées par la NRA que depuis 1997, aucun texte pour le renforcement de la législation sur les armes à feu aux États-Unis n’a été adopté. Pourtant, après chaque fusillade, de nombreuses figures politiques essayent de renforcer la législation sur les armes à feu. Mais le deuxième amendement est un droit auquel les citoyens américains sont très attachés.

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