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Le magistrat François Molins a quitté la Cour de cassation en 2023. Crédits : Bertrand Guay / AFP

François Molins ne dirige plus le parquet général de la Cour de cassation depuis 2023

Création : 24 octobre 2025

Auteur : Nicolas Turcev, journaliste

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Nicolas Turcev, journaliste

Source : Compte Facebook, le 21 octobre 2025

Plusieurs internautes affirment que le magistrat vient d’être promu au sein de la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire. Mais cette nomination date de 2018. François Molins a depuis pris sa retraite, en 2023.

Figées dans le temps. Ces derniers jours, plusieurs publications apparaissent sur les réseaux sociaux annonçant la récente nomination du magistrat François Molins à la Cour de cassation. Les internautes dénoncent un « scandale d’État », reprochant au juge « d’avoir étouffé l’enquête sur le coffre-fort de Benalla et le financement occulte de la campagne Macron ».

Sauf que François Molins a été nommé procureur général près la Cour de cassation en… 2018. Il a depuis quitté ses fonctions, en 2023. Cependant, le magistrat dirigeait bien le parquet de Paris au moment où l’affaire Alexandre Benalla a éclaté, en juillet 2018, soit quelques semaines avant sa nomination.

Quel rôle a joué François Molins dans l’affaire du coffre-fort d’Alexandre Benalla ?

Proche collaborateur du président Emmanuel Macron pendant son premier mandat, Alexandre Benalla a été repéré par Le Monde en train de molester des manifestants durant la mobilisation du 1er mai 2018. Il a depuis été condamné à trois ans de prison, dont un an ferme, pour violences en réunion et avoir usurpé la fonction de policier. Après le rejet de son pourvoi en cassation, en 2024, sa condamnation est devenue définitive.

L’affaire du « coffre-fort » fait référence à la disparition suspecte d’un coffre du domicile d’Alexandre Benalla, juste avant qu’il ne soit perquisitionné. Des syndicats de policiers constitués parties civiles ont alors suspecté que l’extraction du coffre visait à soustraire des preuves à la justice. Ils ont demandé à ce que l’enquête soit étendue pour inclure ce chef d’accusation.

Le parquet de Paris, alors dirigé par François Molins, a refusé de délivrer un réquisitoire supplétif aux juges d’instruction, au motif que le coffre, à en croire les dires d’Alexandre Benalla, contenai des armes détenues légalement, sans lien avec l’affaire. Quelques semaines plus tard, François Molins est nommé procureur général près la Cour de cassation par le président de la République.

Certains commentateurs ont cru percevoir dans cet enchaînement l’implication de l’Elysée : en échange de la mansuétude de François Molins contre l’ancien collaborateur du président, le magistrat se serait vu promettre le plus haut poste de l’ordre judiciaire français. Ou, à tout le moins, il aurait été récompensé pour sa retenue.

Mais ces accusations n’ont jusqu’à présent jamais été étayées. Pire, le timing de la nomination de François Molins, rapporté dans de nombreux titres de presse, semble plutôt démentir cette thèse. Le magistrat a été proposé au poste de procureur général près la Cour de cassation dès le 29 juin 2018 par le ministère de la Justice. Dans la foulée, le 10 juillet, le Conseil supérieur de la magistrature a émis un avis favorable à sa promotion, ouvrant la voie à la dernière étape : la nomination par décret du président de la République, pris le 26 octobre 2018.

Or, l’affaire Benalla n’éclate que le 18 juillet, à la suite d’un article du Monde. La demande de réquisitoire supplétif des parties civiles, elle, intervient le 30 juillet, selon Le Parisien. Autrement dit, François Molins était déjà quasiment certain de s’installer à la Cour de cassation avant même de rendre des arbitrages dans cette affaire. Si, théoriquement, le président de la République aurait pu s’opposer, en dernier ressort, à sa nomination, rien ne prouve à ce jour qu’il en a eu l’intention.

La disparition du coffre-fort d’Alexandre Benalla n’est, quant à elle, pas complètement passée hors des radars de la justice. Un an et demi après les faits, le 5 novembre 2019, le successeur de François Molins à la tête du parquet de Paris, Rémy Heitz, a ouvert une information judiciaire pour « soustraction de documents ou objets concernant un crime ou un délit en vue de faire obstacle à la manifestation de la vérité », selon Mediapart. La procédure s’est soldée par un non-lieu, prononcé le 27 juin 2024, a rapporté l’AFP.

François Molins a-t-il étouffé le « financement illicite » du candidat Macron ?

Deuxième accusation formulée par les internautes : François Molins aurait également étouffé le « financement occulte » des comptes de campagne d’Emmanuel Macron en 2017. Le magistrat a bien eu à statuer sur ce sujet, là aussi en tant que procureur de Paris.

Le 18 septembre 2018, François Molins a décidé du classement sans suite d’une plainte déposée par l’association anticorruption Anticor visant les comptes de campagne de quatre candidats à la présidentielle de 2017, dont Emmanuel Macron.

La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), avait, au préalable, certifié les comptes d’Emmanuel Macron pour 2017. Mais Anticor estimait que le processus de validation par la commission pouvait être entaché d’irrégularités. Le parquet a alors demandé des précisions à la CNCCFP. À la suite de quoi, François Molins a décidé du classement sans suite.

« Le fait qu’une dépense est réformée en totalité ou en partie ne signifie pas qu’il y a eu fraude », justifiait alors le magistrat, dans une lettre que s’est procurée Le Monde. « [Celle-ci] ne doit pas s’apprécier à l’aune des réformations ou demandes d’explications de la CNCCFP, mais à l’existence d’une possible volonté de tromper la commission quant à la réalité des sommes reçues ou dépensées au titre de la campagne. »

Pas suffisant, aux yeux d’Anticor : « La décision du parquet est circonstanciée et a les atours d’une réponse juridique, mais elle s’apparente d’abord à une réponse politique », a déclaré au Monde  Jérôme Karsenti, l’avocat de l’association. « Le procureur de la République n’a fait en réalité aucune enquête et ne s’appuie que sur la réponse de la CNCCFP. Mais, problème majeur, cette commission n’a pas les moyens [d’investigation]. » 

Le magistrat précisait néanmoins dans un courrier adressé à Anticor que « certains [faits] relatifs à la campagne de M. Macron sont visés par l’enquête préliminaire diligentée sous l’autorité du parquet de Lyon ». L’affaire, qui portait sur de possibles détournements de fonds publics dans le cadre de réceptions, a finalement, elle aussi, été classée sans suite, le 13 janvier 2020, par le procureur de la capitale des Gaules.

Autrement dit, si Anticor déplore l’insuffisance des moyens d’enquête déployés par le parquet de François Molins en 2018 pour vérifier la régularité des comptes de campagne d’Emmanuel Macron, aucun élément ne permet d’affirmer avec certitude qu’il existe un « financement illégal ». Ni que celui-ci aurait été couvert par François Molins.

En revanche, le parquet national financier (PNF) a ouvert, en 2022, une information judiciaire pour des soupçons de financement illégal visant les campagnes électorales d’Emmanuel Macron de 2017 et 2022. Les procureurs s’intéressent aux liens entre le chef de l’État et le cabinet de conseil McKinsey. Le président pourrait avoir bénéficié de l’implication « pro bono » de conseillers de la firme américaine. Contacté pour connaître les suites données à l’enquête, le PNF n’avait pas répondu à nos sollicitations au moment de la publication.