Florian Philippot à propos de l’appel dans l’affaire des assistants parlementaires : « quelques heures après avoir critiqué la macronie, Bayrou a immédiatement le retour de bâton ! »
Dernière modification : 4 mars 2024
Auteurs : Lylou Joly, master droit pénal et sciences criminelles, Université de Lorraine
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
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Relecteur : Jean-Baptiste Thierry, professeur de droit pénal, Université de Lorraine
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Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle
Source : Compte X de Florian Philippot, 8 février 2024
On peut toujours imaginer une pression discrète de l’exécutif sur le procureur pour faire appel, ce qui constituerait une faute voire un délit. En droit, l’ordonnance de 1958 sur le statut de la magistrature soustrait depuis 2013 les procureurs au pouvoir d’instruction du ministre, s’agissant des affaires individuelles, comme celle de François Bayrou.
« Énorme ! Ça vient de tomber ! » s’épanchait Florian Philippot dans un post sur X, après que le Parquet eut annoncé qu’il ferait appel de la relaxe de François Bayrou dans l’affaire des assistants parlementaires européens, estimant que les faits caractérisent bien les infractions reprochées. Le procès de François Bayrou va donc se poursuivre comme le précise l’auteur du post, mais est-ce réellement un « retour de bâton » qui signifierait que le Parquet est aux ordres du Président de la République ?
Rappelons le contexte : après sept années d’instruction, s’est tenu le procès de François Bayrou, actuel dirigeant du MoDem, et de dix anciens cadres et élus de ce parti, en fin 2023 à Paris. Les prévenus étaient soupçonnés d’avoir, entre 2005 et 2017, utilisé des fonds européens afin de rémunérer des assistants parlementaires qui travaillaient en réalité pour l’UDF (Union pour la Démocratie Française), puis le MoDem. Cette affaire avait entraîné la démission de François Bayrou de sa fonction de Garde des Sceaux en 2017.
Finalement, le tribunal a rendu son jugement le 5 février dernier, relaxant François Bayrou et deux autres prévenus, au bénéfice du doute. Trois jours plus tard, le parquet faisait appel. Entretemps, François Bayrou avait déclaré qu’étant donné le gouffre entre les idées du MoDem et la politique menée par le gouvernement, son parti ne saurait y participer, à la grande stupéfaction de l’exécutif.
C’est sur cette chronologie que Florian Philippot se fonde pour en déduire que l’appel du Parquet n’est autre que la mise en œuvre de la décision du pouvoir exécutif.
Un coup de fil discret au procureur ? Risqué !
Bien sûr, on ne peut exclure qu’un procureur subisse discrètement des pressions pour décider de faire appel. C’est d’ailleurs ce qui avait été soulevé par l’ex-procureure financière Elianne Houlette, qui a évoqué « une énorme pression » de la part de sa hiérarchie, dans l’affaire des emplois fictifs visant François Fillon et son épouse. Eric Ciotti, actuel président du parti Les Républicains, avait requis l’ouverture d’une enquête préliminaire pour « forfaiture », crime qui n’existe plus depuis 1994 comme nous l’avions déjà signalé.
Le lien entre Parquet et exécutif n’est plus ce qu’il était
Si l’on exclut l’hypothèse qui précède, il faut rappeler que de nombreuses barrières procédurales visent à éviter toute pression de l’exécutif sur les magistrats du parquet. L’ordonnance du 22 décembre 1958 portant sur la loi organique relative au statut de la magistrature prévoit que « les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité du garde des sceaux, ministre de la justice » (article 5), Il en résulte des directives du ministre auxquels les procureurs devaient se conformer.
Cette subordination hiérarchique permet au ministre de dicter au parquet sa politique pénale, par des instruction générales, tendant par exemple à systématiser les poursuites concernant certains types de délits, comme les violences sexuelles, le harcèlement, etc. Il s’agit aussi d’assurer par ces directives l’égalité de tous les citoyens devant la justice, et d’éviter que certaines infractions fassent l’objet de poursuites dans un département mais pas dans l’autre par exemple.
Mais cette subordination permettait aussi au ministre d’adresser des instructions individuelles au Parquet, c’est-à-dire sur un dossier individuel en particulier. Ce pouvoir, qui permettait au ministre de faire cesser des poursuites ou au contraire de les encourager, est allé jusqu’à la caricature dans l’affaire du procureur rappelé depuis l’Himalaya en 1996. Le ministre de l’époque (Jacques Toubon) avait fait envoyer à grands frais un hélicoptère pour ramener en France le procureur Laurent Davenas depuis son lieu de vacances au Népal, car son adjoint venait d’ouvrir une information judiciaire contre Xavière Tiberi, épouse du maire de Paris. Tous appartenaient au même parti politique, le Rassemblement pour la République (RPR), devenu LR.
L’interdiction des instructions individuelles a depuis été insérée dans la loi (Loi du 25 juillet 2013).
Par une décision du 8 décembre 2017 (Cons. const., décision n° 2017-680 QPC), le Conseil constitutionnel a jugé que cette loi de 2013 était conforme dans son principe à la Constitution.
Le pouvoir disciplinaire comme mode de rétorsion ?
Un des liens de dépendance des magistrats du parquet envers le pouvoir exécutif résulte du pouvoir de nomination détenu par le président de la République, sur proposition du Garde des Sceaux. Ce choix reste toutefois soumis à l’avis du Conseil supérieur de la magistrature (qui est indépendant), même si cet avis ne lie pas l’exécutif. Ainsi, un « retour de bâton » n’est pas exclu a posteriori, à travers le pouvoir disciplinaire du ministre sur les procureurs. Mais encore faut-il que le procureur en question commette une faute pour que le pouvoir disciplinaire soit mis en œuvre. Or, faire appel d’un jugement ne constitue aucunement une faute, même si cet appel n’aboutit pas à la remise en cause de la relaxe de F. Bayrou.
Les deux derniers paragraphes ont été modifiés pour tenir compte d’une contestation d’une lectrice sur le fond : méprise sur la nature de l’avis du CSM (simple et non conforme) et formulation trop ambiguë sur le pouvoir disciplinaire.
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