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“Fertilisant”, “non-polluant” : attention aux affirmations trompeuses sur le CO2

Création : 10 mai 2024
Dernière modification : 15 mai 2024

Autrice : Maylis Ygrand, étudiante à l’École Publique de Journalisme de Tours

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Sasha Morsli Gauthier

Source : Compte Facebook, 27 avril 2024

Fertilisant” et “non polluant“, le CO2 serait bénéfique pour la planète, d’après un post publié sur Facebook en avril 2024. Si la thèse pioche dans le vrai pour nier l’existence du réchauffement climatique, elle fait fi de vérités scientifiques qui la contredisent.

Effet positif sur la croissance des plantes”, “rendements plus élevés”, “couverture corallienne record”, “verdissement significatif” de la planète… Le dioxyde de carbone (CO2) serait un gaz miraculeux pour la Terre. Bien loin des alertes répétées à longueur de journée sur les conséquences de ce gaz pour le climat.

Ces vertus supposées sont vantées par un internaute, dans un post publié le 27 avril 2024 sur le réseau social Facebook. L’utilisateur, membre du Collectif des climato-réalistes, une organisation qui remet en cause le rôle des activités humaines dans le réchauffement climatique, appuie sa thèse en relayant un communiqué d’une autre organisation climatosceptique : la fondation Clintel.

Cette dernière, qui estime que “les sciences du climat devraient être moins politiques”, est financée par l’industrie pétrolière, selon le journal d’investigation néerlandais Follow the Money.

Les Surligneurs ont décidé de mener l’enquête pour dénicher le vrai du faux dans ces affirmations sur le dioxyde de carbone. De l’avis des spécialistes, si le CO2 a bien des propriétés fertilisantes, il n’en reste pas moins, à trop grande concentration, un danger imminent pour les êtres vivants.

L’équilibre fragile de la photosynthèse

Dans son post du 27 avril, l’internaute commence par vanter le bénéfice du dioxyde de carbone pour les plantes. Selon lui, plus il y a de CO2 dans l’atmosphère, mieux la végétation se porte. Il serait donc dangereux que le taux de CO2 baisse. Il en veut pour preuve “une nouvelle étude publiée dans la revue Nature Climate Change le 25 avril.

La rédaction des Surligneurs a mis la main sur cette étude. Tout d’abord, précisons que cette dernière date d’avril 2016 et non de 2024, comme l’internaute le laisse entendre sur Facebook.

Cette étude, appelée Greening of the Earth and its drivers, indique bien qu’il y a eu un verdissement significatif de la Terre ces dernières décennies. En cause ? Les propriétés fertilisantes du CO2.

Sur ce point-là, le post vise juste, du moins, en partie. Nicolas Viovy, l’un des 32 scientifiques à l’origine de cette étude, confirme que “plus la concentration de CO2 est importante, plus la photosynthèse est efficace.” Ce phénomène, fondamental aussi bien pour la vie humaine que végétale, permet aux végétaux de produire de l’eau, du dioxygène et du glucose.

Pour ce faire, il leur faut de la lumière, de l’eau et… du dioxyde de carbone. Cette équation posée, il apparaît donc logique que le CO2 soit perçu comme un fertilisant. Sans lui, les plantes ne pourraient pas produire de glucose, ce qui entraînerait leur mort. Et sans lui, les plantes ne pourraient pas produire de dioxygène, pour nous, les êtres vivants.

Sauf que ce n’est pas aussi simple. “Les plantes n’ont pas besoin que de CO2 pour vivre, elles ont aussi besoin d’eau”, nuance Jean-Pierre Gattuso, directeur de recherche au CNRS qui travaille au laboratoire d’océanographie de Villefranche (Alpes-Maritimes).

Le CO2 est certes un élément nécessaire à la photosynthèse, mais il est également un gaz à effet de serre. Or, ces gaz sont responsables du réchauffement climatique, qui se caractérise notamment par une augmentation des épisodes de sécheresse.

Et qui dit sécheresse, dit moins d’eau. Retour donc à l’équation initiale de la photosynthèse, où les végétaux ont aussi besoin d’eau pour produire du glucose. Ainsi, poursuit Jean-Pierre Gattuso : “Il ne faut pas s’intéresser qu’au CO2, mais également aux effets en cascade de l’augmentation du CO2, comme la température.”

Lorsque ces effets prennent le pas sur l’impact positif du CO2, un point de bascule est dépassé : “C’est ce qu’on commence à voir depuis dix-quinze ans dans les forêts françaises. Quand on regarde les inventaires forestiers, on peut voir que jusqu’à une période récente, on avait une augmentation des diamètres des arbres”, indique Nicolas Viovy. Mais désormais,“avec la répétition des sécheresses estivales, les forêts dépérissent.

Il est donc trompeur d’affirmer sans nuances que le CO2 est bon pour les plantes. Le gaz n’est qu’un maillon d’une chaîne complexe et fragile qu’il peut lui-même briser si sa concentration est trop forte dans l’atmosphère.

Le CO2, ennemi des océans

Outre ces bienfaits pour la Terre, le CO2 serait aussi bénéfique en mer, à en croire le membre du collectif des climato-réalistes : “Même la Grande Barrière de Corail a connu une couverture corallienne record l’année dernière”, assure-t-il dans son post. Là encore, c’est erroné.

En réalité, le gaz carbonique augmente l’acidité de l’eau et a “des effets délétères sur la vie dans l’océan”, dénonce Marion Gehlen, chercheuse au Laboratoire des Sciences du climat et de l’environnement de l’Institut Pierre-Simon Laplace. Et comme pour le milieu terrestre, le réchauffement climatique général de la planète conduit à des catastrophes naturelles en mer.

L’une d’entre elles : le délitement de la Grande Barrière de corail, située sur les côtes australiennes. Ce récif corallien est qualifié par l’Unesco de “l’un des écosystèmes les plus riches […] de la planète et l’un des plus importants aux fins de la conservation de la biodiversité.

Victime de vagues de chaleur marine à cause, notamment, du CO2, la Grande Barrière de corail est loin d’avoir battu un record de couverture corallienne, comme l’affirme l’internaute. Au contraire, le récif a connu, entre 2022 et 2023, une interruption de reconstitution, d’après le rapport annuel de l’Institut australien des sciences marines.

Une situation qui ne devrait pas s’améliorer, selon les scientifiques australiens. En effet, les résultats rendent compte d’une importante augmentation d’exposition des récifs au dépérissement durant cette dernière décennie, et ce, comparativement aux trente dernières années. Il prévoit aussi des épisodes de canicule marine plus fréquents à l’avenir, et donc un cercle vicieux pour le récif corallien.

Ainsi, si le CO2 peut avoir des vertus pour la planète, cela n’est possible que dans une certaine limite, que nous avons dépassée. C’est pourquoi “l’action climatique [qui vise à réduire nos émissions de CO2, NDLR] est bénéfique aux écosystèmes naturels”, conclut Jean-Pierre Gattuso. Et non l’inverse, comme l’affirme l’internaute.

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