Faut-il vraiment le répéter ? Le Pacte mondial sur les migrations n’est pas contraignant
Dernière modification : 17 juin 2022
Auteur : Vincent Couronne, enseignant à Sciences Po Saint-Germain et chercheur associé au VIP (UVSQ)
Le sujet du « Pacte mondial sur les migrations » est grave. Non pas parce qu’il traite des migrations, mais parce qu’il alimente les fantasmes les plus surprenants sur les réseaux sociaux, relayés par nombre d’élus, en connaissance de cause ou par ignorance (nous vous laissons choisir ce qui est mieux), et serait à l’origine de la rupture de la coalition gouvernementale en Belgique. Des États ont même finalement décidé de ne pas le signer, lundi, à Marrakech, alimentant encore la défiance envers un texte juridiquement inoffensif.
Les juristes ont beau essayer de se faire entendre, rien n’y fait. Thibaut Fleury-Graff, membre du comité scientifique des Surligneurs et professeur de droit public, a participé à cet effort en publiant un article très clair sur le sujet. Guillaume Tusseau, un autre professeur de droit est sur la même ligne. Et pour ceux qui citeraient une chercheuse en droit qui aurait dit le contraire, elle-même nie avoir tenu de tels propos. Un groupe de chercheurs du centre de droit international de l’Université libre de Bruxelles a lui aussi nié tout effet contraignant du Pacte.
De quoi parle-t-on ?
D’un texte signé le 10 décembre dernier, intitulé « Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières ». Il entend rappeler ce qui existe déjà dans des textes contraignants internationaux que la France applique depuis des décennies (Convention européenne des droits de l’homme, Pacte sur les droits civils et politiques…). C’est la raison pour laquelle il n’y a pas de création de nouveaux droits ou de « nouveaux droits de l’homme » au profit des migrants, car ces droits existent déjà et sont déjà protégés en France (dignité, vie familiale normale, droit d’asile…). Le Pacte propose aussi des objectifs non contraignants (munir les migrants d’une preuve d’identité légale, s’attaquer aux facteurs de vulnérabilité liés aux migrations…).
Des objectifs non contraignants ?
Le Pacte ne peut être plus clair sur ce point, puisqu’il indique à la fin de son préambule : « Le présent Pacte mondial établit un cadre de coopération juridiquement non contraignant » (points 7 et 15 b). Pas convaincu ? Il indique également ceci : « Le Pacte mondial réaffirme le droit souverain des États de définir leurs politiques migratoires nationales et leur droit de gérer les migrations relevant de leur compétence, dans le respect du droit international » (point 14 c).
D’ailleurs, ce Pacte ne contient même pas d’article. En droit, ce sont les articles d’un texte qui peuvent être contraignants pour ceux à qui ils s’appliquent. C’est ce qu’on appelle le « dispositif ». Or, ici, aucun dispositif. Cela signifie qu’aucun tribunal ne pourra reprocher à la France de ne pas avoir respecté ce qui est inscrit dans ce Pacte. La ratification n’aura même pas à être autorisée par le Parlement français, le Pacte sera seulement annexé à une résolution de l’ONU, comme d’autres avant lui.
En 1982, les Nations Unies avaient adopté une Charte mondiale de la Nature, qui listait elle aussi des objectifs pour les États. Non contraignante, nombre de ses objectifs sont restés lettre morte : « La nature sera respectée et ses processus essentiels ne seront pas altérés » : raté ; « la population de chaque espèce, sauvage ou domestique, sera maintenue au moins à un niveau suffisant pour en assurer la survie » : encore raté, etc. Si un jour la France souhaite aller plus loin en rendant contraignants certains éléments du Pacte mondial sur les migrations, comme elle l’a fait avec la Charte de l’environnement en 2004, ce qui a permis de poursuivre l’œuvre initiée par la Charte mondiale de la Nature de 1982, cela ne se fera pas sans autorisation parlementaire, au terme de débats en séance publique.
C’est dire la tempête dans un verre d’eau, à tel point que nous sommes étonnés d’avoir à intervenir sur un tel sujet.
Ce Pacte est-il critiquable ?
Tout texte est critiquable. Certains pourraient regretter qu’il ne soit pas contraignant et finisse dans la longue liste des annexes aux résolutions de l’ONU restées sans effet. Certains pourraient au contraire critiquer le fait que la position d’une grande majorité d’États dans le monde soit aujourd’hui favorable à des migrations sûres, ordonnées et régulières. C’est d’ailleurs sans doute l’intérêt majeur de ce texte : photographier la position de quelques 150 États du monde sur un sujet qui, lorsqu’il a été mis sur la table par l’Assemblée générale de l’ONU en 2016, était au cœur des débats notamment en Europe. On pourrait encore essayer de saisir dans ce texte l’expression d’un équilibre diplomatique sur un sujet sensible, le renoncement de certains États ou l’hypocrisie de certains autres. Mais on sort là du droit, et il ne nous reviendrait pas de commenter ces positions.
Ce qui est sûr, c’est que dire que ce Pacte mondial sur les migrations serait contraignant et porterait atteinte à la souveraineté de la France est très préoccupant, surtout venant de responsables politiques.
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