Non, le Front populaire n’a pas voté les pleins pouvoir au Maréchal Pétain
Auteur : Nicolas Kirilowits, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétaire de rédaction : Gladys Costes, étudiante en licence de Science politique à Lille
Source : Compte Facebook, le 14 juin 2024
Contrairement à ce qu’affirme un post Facebook, le Front populaire, vainqueur des élections législatives de 1936, n’a pas voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain à l’été 1940. Et pour cause, le Front populaire, n’existait plus depuis 1938.
À l’approche de l’été, la température politique ne cesse de grimper en France depuis la dissolution de l’Assemblée nationale actée le 9 juin dernier. Le coup de chaud n’épargne personne, et surtout pas les réseaux sociaux, à l’instar de notre internaute qui, photo du scrutin public de l’époque à l’appui, écrit : « Quand le Front Populaire votait les pleins pouvoirs à Pétain… CQFD ».
Il fait référence ici au vote du 10 juillet 1940 par les parlementaires nationaux (députés et sénateurs), réunis à Vichy, dans la foulée de la débâcle française face aux troupes d’Hitler, en faveur d’une loi constitutionnelle autorisant le maréchal Pétain, alors héros national de la Première Guerre mondiale et président du conseil, à promulguer une nouvelle constitution.
Ce discours réapparait en 2024, tandis que les électeurs sont appelés à voter, le 30 juin 2024, pour les élections législatives anticipées. L’argumentaire est particulièrement utilisé pour tenter de décrédibiliser l’alliance du Nouveau Front Populaire. Au fond, ce seraient eux, les véritables héritiers du Maréchal Pétain, contrairement à ce qu’ils prétendent en pointant du doigt le Rassemblement national.
Pourtant, les faits sont têtus. Le Front populaire n’a jamais voté les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain. En revanche, le Front national — désormais Rassemblement national – a bien été fondé par certains nostalgiques du régime de Vichy.
Une interprétation erronée
Si le décompte du scrutin publié sur Facebook est le bon (569 pour, 80 contre et 20 abstentions), comme le confirme Olivier Wieviorka, Professeur des universités à l’École normale supérieur Paris-Saclay et auteur de l’ouvrage Les Orphelins de la République, son interprétation sur le Front populaire est fausse : « L’idée que le Front populaire a voté les pleins pouvoir est l’un des lieux communs les plus vivaces », constate l’historien.
En effet, comme le rappelle son confrère Jean Vigreux, auteur notamment de l’ouvrage Histoire du Front populaire aux éditions Tallandier, « le Front populaire n’existait plus politiquement depuis 1938 ». « Cette coalition aurait eu grand mal à voter quoi que ce soit en juillet 1940, puisqu’elle était morte et enterrée », rappelle pour sa part Frédéric Monier, chercheur et enseignant à l’Université d’Avignon, et auteur de Front Populaire, aux éditions La Découverte.
1938, fin du Front populaire
Pour rappel, à la veille du début de la Seconde Guerre mondiale, le contexte politique français est pour le moins sulfureux et instable. Comme l’écrit le Professeur agrégé Didier Fischer dans une biographie consacrée à Léon Blum, le deuxième gouvernement siglé Front populaire n’a tenu que trois semaines, entre les mois de mars et d’avril, en 1938 (p. 208).
« (Edouard) Daladier se voit alors confier la constitution d’un nouveau gouvernement par le président (Albert) Lebrun. L’arrivée en son sein de Paul Reynaud, de Georges Mandel et du démocrate-chrétien Champetier de Ribes signifie de fait la fin du Front populaire, et cela d’autant plus que les socialistes refusent d’y participer », précise-t-il à la suite.
De fait, si le Front populaire, rassemblement politique de gauche vainqueur des élections législatives de 1936, n’a pas d’existence juridique comme un parti politique, il ne peut être officiellement rattaché, que ce soit pour son acte de naissance ou de décès, à une date précise.
Toutefois, les historiens interrogés par les Surligneurs s’accordent, comme toutes les sources consultables, pour confirmer l’arrêt de son existence politique en 1938, à la fin du deuxième gouvernement éphémère mené par Léon Blum. « C’est la fin, de facto, du Front populaire comme majorité de gouvernement », estime Frédéric Monier.
Une réalité historique qui contredit donc l’auteur de la publication qui semble ici commettre une erreur temporelle.
« Vichy reste fondamentalement de droite et d’extrême droite »
Par ailleurs, si une majorité d’élus de gauche ont voté pour la loi constitutionnelle le 10 juillet 1940, ils sont aussi surreprésentés dans les rares parlementaires (80 sur les 649 qui ont pris part au vote) à s’y être opposés.
« Les Quatre-vingts opposants sont 57 députés et 23 sénateurs. Parmi eux, on compte 3 anciens communistes, 36 socialistes SFIO, 26 radicaux, 15 autres députés de gauche, du centre ou de droite », précise ainsi l’Assemblée nationale sur son site Internet. « Vichy a donc d’abord été le vote de la droite, même si une partie significative de la gauche a voté les pleins pouvoirs », rappelle Olivier Wieviorka aux Surligneurs.
D’autre part, « plusieurs dizaines de députés n’ont pas pris part au vote : communistes déchus de leurs mandats après la dissolution du PCF en 1939 (60 élus), résistants partis s’embarquer sur le navire le Massilia (26 élus) et parlementaires qui – à la fin de l’exode – n’ont pas pu ou voulu rejoindre Vichy (92 élus) », souligne Frédéric Monier. « Si des concours de gauche ont pu soutenir Vichy, Vichy reste fondamentalement de droite et d’extrême droite », conclut Olivier Wieviorka.
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