Rama, CC BY-SA 2.0

#FactCheck. Non, il n’y a pas « d’explosion » du nombre d’agressions en France

Création : 6 juin 2024
Dernière modification : 5 juin 2024

Autrice : Maylis Ygrand, étudiante à l’École Publique de Journalisme de Tours

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Antoine Mauvy, étudiant en droit à Paris II Panthéon-Assas

Source : Compte Instagram, 10 mai 2024

D’après un post Instagram publié le 10 mai, le nombre de victimes de coups et blessures volontaires aurait quadruplé en France, depuis 15 ans. En plus d’être fausse, cette affirmation s’appuie sur des statistiques caduques.

Il y aurait aujourd’hui quatre fois plus de victimes de coups et blessures volontaires qu’il y a 15 ans. Une statistique aussi impressionnante qu’inquiétante mise en avant, le 10 mai, par un internaute sur Instagram.

Des chiffres qu’il a tirés, comme d’autres, d’une publication sur X (anciennement Twitter), comme il l’a indiqué aux Surligneurs. Sur cette dernière, plusieurs graphiques « exclusifs« , censés démontrer « une explosion de violence » en France, sont publiés.

Les deux internautes, qui assurent avoir trouvé leurs chiffres sur le site statistique de l’Union européenne Eurostat, établissent quasiment la même conclusion. Le compte Instagram indique qu’il y aurait 1 000 000 de victimes de coup et blessures en France chaque année, soit une multiplication par quatre en 15 ans (par rapport aux années 2000 environ). L’utilisateur de X, lui, y voit une multiplication par 5, mais par rapport à 1996, avec près d’un million d’agressions pour l’année 2022.

Quoi qu’il en soit, les internautes sont d’accord sur un point :  leurs résultats sont la preuve d’une insécurité grandissante en France. Pour l’utilisateur d’Instagram, les responsables sont d’ailleurs tout trouvés :  « Les attentats islamistes, la montée de l’islamisme, l’islam radical, l’islam politique des frères musulmans, etc, tout cela est lié à l’immigration massive et incontrôlée« , écrit-il en légende de son post. Sur Twitter, l’auteur du post questionne : « coup et blessures volontaires : l’ensauvagement ? ».

À l’heure où la campagne des européennes bat son plein, des telles statistiques semblent donner raison aux listes d’extrême-droite qui font de la sécurité leur cheval de bataille. Alors qu’en est-il ? Les Surligneurs ont décidé de sortir leur fluo et de plonger, encore une fois, dans les statistiques de la délinquance. Et comme souvent avec les affirmations trop alarmistes, elles sont fausses.

Bons chiffres, mauvaise interprétation

Arrêtons-nous un instant sur les chiffres avancés par notre internaute sur X et sur lequel se basent bon nombre d’autres posts sur les réseaux sociaux. Il indique que près d’un million d’agressions se produiraient en France en 2022 (au lieu de « seraient comptabilisés en France »). Pour arriver à cette conclusion, ils s’appuient sur deux sources statistiques.

La première, provient du site Eurostat qui publie chaque année le nombre d’infractions enregistrées par les polices européennes. L’internaute a produit une moyenne statistique entre 2017 et 2023 pour en conclure que près de 300 000 actes avaient été enregistrés par les forces de l’ordre. Les Surligneurs ont vérifié et ses calculs sont plutôt bons. En moyenne, 299 000 actes ont été portés à la connaissance des forces de sécurité françaises. L’internaute a simplement arrondi à la centaine de milliers supérieure.

La seconde source provient d’un rapport du ministère de l’Intérieur qui dévoile que seules 34 % des victimes de coups et blessures portent plainte. Pour nos deux internautes, en plus des 300 000 victimes d’agressions en moyenne, il faut ajouter les 66 % des victimes qui ne se rendent pas aux services de police et qui ne sont donc pas comptabilisés par le ministère.

À la louche, ils estiment ainsi qu’environ 700 000 personnes victimes de coups et blessures volontaires ne portent donc pas plainte et qu’au total, près d’un million de personnes seraient victimes de cette infraction.

Problème, les données statistiques du ministère de l’Intérieur ne mesurent pas la délinquance, mais plutôt l’activité des services de sécurité :  « Selon la délinquance que les forces de police suivent, les chiffres peuvent changer« , expliquait Renée Zaubermann, sociologue, directrice de recherches émérite au CNRS et responsable de l’Observatoire scientifique du crime et de la Justice (OSCJ), à nos confrères de France 3 Centre-Val de Loire. »Il y a parfois des contextes qui peuvent favoriser ou non la résurgence de certains enregistrements de délits, ce qui ne veut pas dire que le phénomène augmente« .

Par exemple, le contexte de libération de la parole autour du mouvement Metoo et la meilleure prise en charge des victimes a fait bondir les chiffres du Loir-et-Cher (+46 %) entre 2022 et 2023. Pour autant, cela ne veut pas dire que le phénomène a augmenté.   

Statistiques inutilisables

Difficile dans ces conditions d’en tirer des conclusions. Et encore plus d’analyser une évolution dans le temps comme le font nos internautes : “La statistique de police concernant les coups et blessures volontaires est totalement inutilisable pour mesurer les agressions. Et ce, en raison de la survenance de vingt lois depuis le début des années 80 qui ont eu pour objet de faire passer, de contraventions à délits, un certain nombre de cas d’agressions », explique Philippe Robert, directeur de recherche émérite au CNRS, fondateur et ancien directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP).

Concrètement, de nouvelles catégories de délits sont apparues dans les décomptes du ministère de l’Intérieur ces dernières années. Résultat : des phénomènes qui n’étaient pas étudiés jusque-là (mais qui existaient) sont venus gonfler artificiellement les statistiques.

Avis partagé par son collègue Antoine Jardin, ingénieur de recherche CNRS au CESDIP : “Avec le durcissement de la condamnation des violences, l’augmentation vient d’une modification du périmètre”.

Impossible ainsi de mesurer finement l’évolution du phénomène des coups et blessures en s’appuyant sur les chiffres du ministère de l’Intérieur. Pour parer à ce défaut statistique, les sociologues spécialisés dans la délinquance ont trouvé la parade : les enquêtes de victimation.

Une autre méthode

Ces enquêtes consistent “à interroger les membres d’un échantillon de population générale en leur demandant s’ils ont été victimes de telle ou telle chose pendant telle période”, explique aux Surligneurs Philippe Robert.

Si cette méthode connait aussi quelques lacunes, elle est admise par tous les spécialistes comme la plus fiable, notamment parce qu’elle prend en compte les infractions qui n’auraient pas été portées à la connaissance de la police. Or, en se plongeant dans ces statistiques, les conclusions des spécialistes sont bien éloignées de celles des internautes.

Des baisses et des stagnations

En effet, aucune d’entre elles ne montre une « explosion de violence« . C’est même plutôt le contraire. Dans son rapport publié en 2019, l’Insee constate que les vols avec violences sont en diminution depuis 2006 : « Le nombre de victimes a diminué de plus de moitié, mais avec quelques périodes de hausse et un pic en 2013″. Concernant le nombre annuel de victimes de violences physiques hors ménage, leur nombre est en stagnation depuis la même période : entre 610 000 (2016) et 887 000 (2008) selon les années.

Plus récemment, en 2021, la méthode de l’Insee et du service de la statistique du ministère de l’Intérieur a changé. Désormais, ce ne sont plus les personnes de plus de 14 ans qui sont comptabilisées dans la statistique, mais celle âgée entre 18 et 74 ans. Ainsi, les chiffres les plus récents sont incomparables avec ceux des décennies précédentes.

Pour autant, selon l’enquête publiée en 2022, « 498 000 personnes âgées de 18 à 74 ans vivant en France métropolitaine ont été victimes de violences physiques en 2021, soit 1,1 % des personnes de cette tranche d’âge« . C’est deux fois moins que ce qu’ont avancé nos internautes sur les réseaux sociaux.

Contacté, l’un d’entre eux nous a confirmé par mail que les chiffres qu’il a lui-même publiés sont à prendre « avec des pincettes« . Un conseil qu’il ne semble pas s’être imposé et qu’il n’a pas jugé utile de rappeler à ses lecteurs.

Une erreur dans ce contenu ? Vous souhaitez soumettre une information à vérifier ? Faites-le nous savoir en utilisant notre formulaire en ligne. Retrouvez notre politique de correction et de soumission d'informations sur la page Notre méthode.

Faites un don défiscalisé, Soutenez les surligneurs Aidez-nous à lutter contre la désinformation juridique.