Exécution provisoire : ce que la décision du Conseil constitutionnel change pour Marine Le Pen et les autres
Dernière modification : 8 décembre 2025
Auteur et autrice : Guillaume Baticle, journaliste et doctorant en droit public, université de Poitiers
Maylis Ygrand, journaliste
Relecteurs : Jean-Baptiste Thierry, professeur de droit pénal à l’Université de Lorraine
Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Clara Robert-Motta, journaliste
Ce 5 décembre 2025, le Conseil constitutionnel a validé l’exécution provisoire, provoquant un nouveau revers dans la stratégie de Marine Le Pen pour se présenter à l’élection présidentielle. Cette décision renforce toutefois certaines exigences pour les juges et pourrait affecter de nombreuses condamnations futures.
Dans une petite salle d’audience du Conseil constitutionnel, dans laquelle se pressait timidement une vingtaine de personnes ce 18 novembre, une nouvelle porte s’est refermée sur Marine Le Pen. Une porte qu’elle tentait encore d’emprunter pour échapper à sa peine d’inéligibilité, qui la prive, pour l’heure, d’une candidature à l’élection présidentielle.
Deux semaines plus tard, ce vendredi 5 décembre 2025, les Sages ont tranché : l’exécution provisoire est conforme à la Constitution. Une décision implacable qui balaie l’une des dernières stratégies susceptibles de la maintenir dans la course à l’élection présidentielle sans attendre son procès en appel.
Et alors que chaque jour qui passe fragilise un peu plus sa position, l’espace politique qui se libère semble renforcer encore un peu plus les ambitions de Jordan Bardella. Explications.
Destins liés
Condamnée à une peine d’inéligibilité assortie de cette fameuse exécution provisoire dans l’affaire dite « des assistants parlementaires », l’ancienne présidente du Rassemblement national (RN) avait fait feu de tout bois pour desserrer l’étau judiciaire. L’une de ses stratégies : créer des contentieux de toutes pièces afin d’essayer de contester le bienfondé de sa peine d’inéligibilité et de son exécution provisoire via une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).
Sauf que pour le moment, cette technique avait été bien peu fructueuse et la députée RN s’est fait retoquer toutes ses demandes. Dernière en date, le 10 novembre, le Conseil d’État avait, en appel, refusé de transmettre l’une des QPC déposées par l’élue du Pas-de-Calais.

Marine Le Pen quitte le tribunal de justice, après le jugement dans l’affaire des « assistants parlementaires », le 31 mars 2025. Photo : Thomas Samson / AFP
Contrairement à Marine Le Pen, il en est un dont la QPC sur l’exécution provisoire a bel et bien été acceptée : Bernard Pancrel, ancien maire de Saint-François (Guadeloupe), condamné pour favoritisme, faux et usage de faux, par une décision de la cour d’appel le 14 janvier 2025, et démis d’office à la suite de sa peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire. Son pourvoi devant la Cour de cassation avait permis de saisir les Sages d’un point précis : la conformité à la Constitution du quatrième alinéa de l’article 471 du Code de procédure pénale, celui-là même qui autorise l’exécution provisoire de certaines peines.
L’enjeu est simple… et redoutable. L’exécution provisoire permet d’appliquer une peine immédiatement, alors qu’un appel devrait normalement suspendre ses effets jusqu’à ce que la décision devienne définitive. Soit précisément ce qui est arrivé à Bernard Pancrel et Marine Le Pen.
À partir du moment où une disposition législative a été considérée comme conforme à la Constitution, elle ne peut plus faire l’objet d’une QPC. Celle portée par Pancrel aurait donc dû revêtir une grande importance pour le camp de Marine Le Pen, qui souhaitait elle-même contester la constitutionnalité de l’exécution provisoire. Mais le Rassemblement national n’a pourtant jamais fait mine de s’intéresser à l’affaire.
Un débat intense… sans le RN
Pour comprendre, il faut revenir quelques semaines plus tôt. Le 18 novembre, une petite salle d’audience du Conseil constitutionnel accueille une demi-douzaine d’avocats. Les neuf membres du Conseil semblent encore groggy par une précédente question sur la loi de finances 2025, mais les plaidoiries vont rapidement attirer leur attention. Car derrière la « QPC Pancrel », tout le monde sait qu’il existe un autre enjeu, beaucoup plus politique : celui de Marine Le Pen, dont le nom ne sera pourtant jamais prononcé.
Surtout, aucun représentant du Rassemblement national n’est présent. Pas de conclusions, pas d’observations. Un silence surprenant, alors que la procédure permet normalement à des « intervenants » de se greffer à une QPC existante pour défendre leurs arguments. Contacté, le parti n’a pas répondu à nos sollicitations.
Pendant ce temps, dans la salle, les positions s’affrontent. François Molinié, avocat de Bernard Pancrel, attaque l’exécution provisoire dénonçant une atteinte à la présomption d’innocence et une mécanique « discrétionnaire pour ne pas dire arbitraire ». Claire Waquet, avocate des parties civiles, soutient au contraire que l’exécution immédiate d’une peine d’inéligibilité permet d’enlever à l’élu, ici accusé de favoritisme, les moyens permettant de commettre l’infraction.
Cette mesure n’est pas « incompatible avec le principe de la présomption d’innocence », car l’exécution provisoire est prononcée à la suite d’une déclaration de culpabilité par une juridiction.
Les Sages concluront finalement, le 5 décembre 2025, que cette mesure n’est pas « incompatible avec le principe de la présomption d’innocence », car l’exécution provisoire est prononcée à la suite d’une déclaration de culpabilité par une juridiction.
Mais, le débat ne se limite toutefois pas à une atteinte à la présomption d’innocence ni au cas Pancrel. Si les avocats de Marine Le Pen n’ont pas choisi d’intervenir, d’autres l’ont fait. Au-delà de la critique de l’exécution provisoire, plusieurs intervenants soulèvent un même problème : les décisions assortissant une peine de l’exécution provisoire ne sont que rarement motivées.
Tandis que les avocats d’Anticor, Théo Lamballe et Jean-Baptiste Soufron insistent sur la nécessaire lisibilité de la loi et des décisions, Pierre de Combles de Nayves, qui représente une personne visée par une interdiction de gérer une entreprise, interroge la question de l’effectivité de la peine. Comment comprendre une sanction qui n’est pas expliquée ?
La décision : validée, mais sous condition
Près de trois semaines plus tard, ce vendredi 5 décembre, le Conseil constitutionnel a finalement tranché en rendant sa décision sur cette QPC : l’exécution provisoire est conforme, mais à une condition. Les juges devront désormais motiver systématiquement leur décision lorsqu’ils assortissent une peine complémentaire de cette mesure.
Cette exigence s’inscrit dans la continuité d’une décision du Conseil constitutionnel. En mars 2025 déjà, dans le cadre de la démission d’office d’un conseiller municipal, les Sages s’étaient exprimés sur l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité. Ils avaient posé une obligation de motivation de la part du juge qui choisirait de la prononcer.
Or, cette décision publiée quelques jours seulement avant le jugement visant Marine Le Pen avait déjà été intégrée par ses juges. Ces derniers avaient motivé le jugement sur ce fondement en citant la décision du Conseil constitutionnel.
Le jugement de Marine Le Pen est en effet solidement charpenté : pas moins de neuf pages, sur les 154 que compte le jugement, détaillent les raisons justifiant l’exécution provisoire, dont l’argument du « trouble majeur à l’ordre public démocratique » s’agissant d’une personne condamnée en première instance souhaitant malgré tout se présenter à l’élection présidentielle.
« Cette QPC, pourtant la plus susceptible de concerner Marine Le Pen, n’aura aucune conséquence sur sa situation. »
Autrement dit, Marine Le Pen ne pourrait même pas faire valoir un manque de motivation. « Cette QPC, pourtant la plus susceptible de concerner Marine Le Pen, n’aura aucune conséquence sur sa situation », avait déclaré François Molinié à la sortie de l’audience, prédisant la décision du Conseil constitutionnel.
Cette dernière, bien que mesurée, car assortie d’une condition de motivation, ne changera rien pour la députée du Pas-de-Calais… à l’exception du fait qu’aucune de ses demandes de transmission de QPC ne pourra plus être acceptée, à moins d’un changement de circonstances de droit ou de fait.
Le Conseil précise aussi que sa décision ne s’appliquera « qu’aux affaires dont la juridiction de jugement est saisie postérieurement à la date de publication de la présente décision ». De quoi enfoncer le clou.
Une faille structurelle de la justice
Si une des stratégies de Marine Le Pen a été soufflée par la décision du Conseil constitutionnel, cette dernière pourrait, en revanche, avoir des conséquences pour de futurs condamnés qui seraient visés par une exécution provisoire.
En effet, nombre de peines ne sont pas — ou peu — motivées. Un rapport de 2022 dressait déjà un constat sévère : entre 2015 et 2019, 71 % des condamnations du tribunal correctionnel de Nanterre n’étaient pas motivées ; 84 % à Montpellier sur la période 2018-2019. Le constat est encore pire pour les peines complémentaires, qui sont rarement motivées.
Interrogés pour ce rapport, des magistrats ont expliqué ne pas motiver chacune de leurs décisions par manque de temps. Les juges ont ainsi pris pour habitude de les motiver lors de l’appel, et non en première instance.
À l’audience, l’avocat, Jean-Baptiste Soufron, a plaidé qu’il ne s’agissait pourtant pas de détails juridiques : interdictions de gérer, fermetures d’établissements, privations de droits « sans que personne dispose du moindre recours ». « Je ne doute pas que les juges fassent un contrôle de proportionnalité, mais il faut qu’ils le disent », martèle-t-il alors. Sans cela, « ce qui guette, c’est l’illégitimité ».
Dans la décision du 5 décembre 2025, les Sages semblent avoir souhaité répondre à cette inquiétude des avocats. En plus d’imposer une obligation de motivation, ils ont également souligné qu’elle doit être faite « au regard des éléments contradictoirement discutés devant [le juge], y compris à son initiative, afin de tenir compte des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur et de sa situation matérielle, familiale et sociale ».
Le Conseil constitutionnel a ainsi rappelé deux principes : le débat contradictoire et l’individualisation de la peine permise par un contrôle de proportionnalité de celle-ci.
Le Conseil constitutionnel a ainsi rappelé deux principes : le débat contradictoire et l’individualisation de la peine permise par un contrôle de proportionnalité de celle-ci, quitte à ce que le juge, d’office, soumette à la discussion la question de l’exécution provisoire.
Cette décision ne changera donc pas l’ordre établi pour Marine Le Pen. Sa stratégie de balayer d’un revers constitutionnel l’exécution provisoire s’échoue dans le filet. Sans qu’elle ait véritablement participé au match.
