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Image d'illustration. Libre de droit.

Euro numérique : sera-t-il interdit de payer « plus de 1000 euros de votre poche » ?

Création : 21 août 2025

Auteur : Etienne Merle, journaliste

Relecteur.trice : Nicolas Turcev, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Etienne Merle, journaliste

Source : Compte Facebook, le 24 juillet 2025

Un extrait vidéo de Christine Lagarde circule sur les réseaux sociaux, prétendant qu’elle annoncerait des restrictions liées à l’euro numérique. En réalité, les propos de la présidente de la Banque centrale européenne ont été détournés à la suite d’un canular russe datant de 2023.

Depuis plusieurs mois, une courte vidéo de Christine Lagarde circule les réseaux sociaux, accompagnée d’accusations inquiétantes : la présidente de la Banque centrale européenne (BCE) y annoncerait l’interdiction de payer plus de 1 000 euros en liquide et la mise en place de contrôles sur les dépenses quotidiennes avec l’euro numérique. 

« Il sera illégal de payer plus de 1000 € de votre propre argent […] et l’euro numérique sera assorti de contrôles, même pour les dépenses inférieures à 300 € », s’indigne une internaute. En réalité, cette affirmation repose sur une vidéo tronquée issue d’un canular. 

Une séquence issue d’un canular russe

L’extrait viral provient d’un faux entretien de Christine Lagarde, piégée, en mars 2023, par deux farceurs russes, Vladimir Kouznetsov et Alexeï Stolaryov, alias « Vovan » et « Lexus », comme l’a déjà montré l’AFP.

Ces spécialistes des interviews truquées ont déjà trompé Boris Johnson, le premier ministre du Kosovo ou encore François Hollande et sont soupçonnés d’être liés aux services secrets russes. La séquence complète, d’une vingtaine de minutes, avait été diffusée sur la télévision russe Pervy Kanal et reste accessible sur Rutube.

Dans la vidéo, l’un des humoristes se fait passer pour le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Face à ses questions, Christine Lagarde évoque effectivement la réflexion en cours sur l’euro numérique. Mais aucun passage ne confirme de quelconques contrôles pour des dépenses inférieurs à 300 euros. 

En revanche, la présidente de la Banque centrale européenne mentionne des limites pour les paiements en espèces… mais ces dernières sont déjà en vigueur dans bon nombre de pays européens. 

Des limites au cash qui existent déjà

Car, contrairement à ce qu’affirment les publications virales, l’interdiction de payer plus de 1 000 euros en liquide n’est pas une nouveauté liée à l’euro numérique. En France, elle résulte d’un décret de 2015 qui impose ce plafond pour tout paiement entre un particulier et un professionnel. Les paiements entre particuliers ne sont pas soumis à cette limite, sauf au-delà de 1 500 euros, où une attestation écrite est nécessaire, comme le rappelle le site service-public.fr.

Ce seuil n’est pas uniforme dans l’Union européenne : certains pays, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, n’imposent aucune limite. D’autres prévoient des plafonds stricts : l’Italie (1 000 euros), l’Espagne (1 000 euros), la Slovénie (5 000 euros) ou la Hongrie (environ 5 110 euros). Le Centre européen des consommateurs répertorie ces différences pour chaque pays de l’UE

L’euro numérique n’est pas encore déployé

Autre intox diffusée en ligne : l’idée selon laquelle la BCE pourrait contrôler chaque dépense des citoyens. Ni la vidéo ni les documents officiels ne vont en ce sens. Comme Les Surligneurs l’ont déjà raconté, le projet législatif soumis au Parlement européen précise que l’euro numérique ne sera pas « programmable » : il aura exactement la même valeur et les mêmes usages qu’un euro classique, sans qu’aucune condition technique ne puisse limiter son utilisation (par exemple des euros valables uniquement pour certains achats ou pendant une durée déterminée).

Enfin, il faut rappeler que cette monnaie reste à l’état de projet. La décision de la mettre en œuvre n’a pas encore été prise. Une échéance est prévue au mois d’octobre 2025 : il s’agit de la date butoir de la phase préparatoire menée par la BCE depuis 2023, comme l’expliquait l’institution bruxelloise aux Surligneurs, en mars dernier. 

« En octobre, le conseil des gouverneurs de la BCE devra décider de passer ou non à la prochaine phase de préparations. […] La décision de distribuer l’euro numérique ne peut être prise par la BCE qu’après l’adoption par le Parlement européen de la loi », expliquait la BCE, qui ne fait aucune projection sur une possible date de lancement.