Est-il possible de suspendre tous les visas délivrés aux ressortissants algériens ?
Autrice : Louna Assoumou, master de droit européen, université Paris-Est-Créteil
Relecteurs : Sarah Auclair, doctorante en droit public, université Paris-Est-Créteil
Guillaume Baticle, doctorant en droit public, université de Poitiers
Tania Racho, docteure en droit européen (Paris II) et chercheuse associée à l’université Paris-Saclay, spécialisée dans les questions relatives aux droits fondamentaux
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Nicolas Turcev, journaliste
Source : CNews, le 26 février 2025
Refuser systématiquement de délivrer des visas aux ressortissants algériens ne sera pas facile. Selon le type de visa, la France est plus ou moins contrainte par les conditions de refus posées par le droit européen.
Éric Ciotti veut fermer la porte aux ressortissants algériens. Interrogé par Sonia Mabrouk sur CNews, le 26 février, à propos du climat de tension actuel entre la France et l’Algérie, le président de l’Union des droites pour la République (UDR) et député des Alpes-Maritimes, allié à l’extrême-droite du Rassemblement national (RN), a proposé « la suspension de tous les visas [aux ressortissants algériens] tant que toutes les obligations de quitter le territoire français à destination de l’Algérie ne sont pas exécutées ».
Outre le caractère hautement polémique de cette annonce, une question se pose : la France peut-elle réellement interdire la délivrance de visas aux ressortissants d’un État en particulier ? La loi immigration du 26 janvier 2024 semble ouvrir cette possibilité, bien que son cadre reste flou.
La réponse dépend du type de visa concerné. Si les visas de long séjour de plus de 90 jours peuvent être refusés de manière discrétionnaire dans certains cas, les visas de court séjour, accordés pour un maximum de 90 jours, sont soumis aux règles européennes, ce qui contraint la France si elle souhaite les refuser.
Refuser un visa long séjour : un pouvoir libre mais sous conditions
L’article L312-3 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) prévoit que le visa de long séjour est accordé de plein droit au conjoint d’un ressortissant français, sauf en cas de fraude, d’annulation du mariage ou de menace à l’ordre public. En dehors de ces situations, l’administration française dispose d’une marge de manœuvre pour accepter ou refuser ces visas.
Depuis la loi immigration de 2024, l’article L312-3-1 ajoute un autre motif de refus s’approchant de la proposition d’Éric Ciotti : « le visa de long séjour peut être refusé au ressortissant d’un État coopérant insuffisamment en matière de réadmission de ses ressortissants en situation irrégulière ou ne respectant pas un accord bilatéral ou multilatéral de gestion des flux migratoires ».
Cette disposition permet à la France de durcir sa politique vis-à-vis de certains États, notamment en réponse à un manque de coopération en matière de retour des personnes en situation irrégulière. Cependant, elle ne permet pas d’interdire de manière systématique et générale l’octroi de visas à tous les ressortissants d’un même pays.
En somme, la France pourrait se fonder sur cet article pour refuser les visas de long séjour aux ressortissants algériens, si l’Algérie s’obstine à refuser d’accueillir les personnes que les autorités françaises souhaitent expulser.
Le droit européen rend quasi impossible le refus d’un visa de court séjour
Les visas de court séjour, autrement appelés « visa Schengen », sont des visas dont les conditions sont entièrement régies par l’Union européenne par le code des visas, créé par un règlement européen de 2009 et régulièrement mis à jour.
Les motifs de refus, définis à l’article 32 du règlement en question, incluent la fraude par présentation de documents falsifiés, l’insuffisance de justificatifs pour le séjour prévu ou encore la menace à l’ordre public. Contrairement à la législation française, aucun dispositif ne prévoit explicitement la possibilité de restreindre l’entrée des ressortissants d’un État en particulier.
Une exception existe toutefois : le Ceseda prévoit que les titulaires d’un passeport diplomatique ou d’un passeport de service souhaitant obtenir un visa court séjour peuvent voir leur demande refusée si leur État d’origine n’accueille pas suffisamment ses ressortissants présents illégalement en France (article L312-1-1 du Ceseda).
Si la loi permet un durcissement des conditions de délivrance des visas, elle ne donne en aucun cas la possibilité d’interdire totalement l’entrée des ressortissants d’un État. Il faudra alors changer la loi, et négocier au niveau européen, pour changer les règles.