Est-il possible de rendre payante l’entrée de Notre-Dame de Paris pour les touristes ?
Dernière modification : 9 décembre 2024
Auteur : Clément Benelbaz, maître de conférences en droit public, université Savoie Mont Blanc
Relecteurs : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, université Paris-Saclay
Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste
Source : Rachida Dati dans un entretien au Figaro, le 23 octobre 2024
Si la cathédrale Notre-Dame de Paris appartient bien à l’État, celui-ci ne peut pas en disposer comme il l’entend. Toute utilisation autre que cultuelle doit recueillir l’accord des autorités religieuses, et les droits d’entrée pour les visites sont strictement encadrés par les textes et la jurisprudence.
Ce samedi 7 décembre 2024, Notre-Dame de Paris rouvre ses portes au public, cinq ans après le ravage de la cathédrale dans un incendie. Contrairement à ce qui avait été proposée par la ministre de la Culture démissionnaire, l’entrée sera bel et bien gratuite. À l’occasion, Les Surligneurs repartagent cet article publié originellement le 1er octobre 2024.
La ministre de la Culture a émis l’idée, le 23 octobre 2024, de faire payer 5 euros les touristes souhaitant visiter Notre-Dame de Paris. Avec ce dispositif, l’État récolterait 75 millions d’euros par an, ce qui « sauverait toutes les églises de Paris et de France ». Cette déclaration n’a pas manqué de faire réagir, notamment le diocèse de Paris, qui a quant à lui rappelé le principe de « gratuité du droit d’entrée dans les églises et les cathédrales ».
Une mise à disposition par l’État gratuite et perpétuelle
Afin de comprendre les enjeux, rappelons d’abord que Notre-Dame est la propriété de l’État, et cela depuis un long processus historique qui date d’un décret du 2 novembre 1789 : “Tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la Nation, à la charge de pourvoir, d’une manière convenable, aux frais du culte, à l’entretien de ses ministres, et au soulagement des pauvres”.
En contrepartie, comme le rappelle la loi du 9 décembre 1905, ces édifices sont laissés gratuitement à la disposition des fidèles, mais à travers leurs associations cultuelles. Ce régime dit “d’affectation cultuelle” est très protecteur, puisque non seulement la mise à disposition est gratuite et perpétuelle, mais aucune utilisation de l’édifice ne peut s’effectuer sans l’accord de l’autorité religieuse qui gère l’édifice (qu’on appelle le “desservant” et qui peut avoir différentes formes selon les religions).
Des droits d’entrée légaux, mais très encadrés
Les édifices du culte catholique étant affectés de façon gratuite et exclusive au culte, toute utilisation extra-cultuelle (par exemple pour les visites touristiques, les expositions, concerts, etc.) ne peut se faire sans l’autorisation du desservant.
Mais l’article L. 2124-31 du Code général de la propriété des personnes publiques prévoit des “cas d’utilisation de ces édifices pour des activités compatibles avec l’affectation cultuelle”, avec l’accord du desservant, et « le cas échéant […] une redevance domaniale dont le produit peut être partagé entre la collectivité propriétaire et l’affectataire ». Autrement dit, une entrée payante.
Reste que, d’après une décision du Conseil d’État de 2005, l’accord du desservant est obligatoire, d’autant qu’il est seul à détenir les clés : nul autre, pas même le maire, ne serait en mesure d’exiger un second trousseau, selon le Conseil d’État (décision du 24 février 1912, abbé Sarralongue).
Il est vrai que l’article 17 de la loi de 1905 prévoit que les visites « des édifices et l’exposition des objets mobiliers classés [au titre du Code du patrimoine, ndlr] ne pourront donner lieu à aucune taxe ni redevance ».
En principe donc, la perception d’un droit d’entrée dans les édifices affectés au culte appartenant à une personne publique est illégale, s’agissant de l’accès aux objets mobiliers, tels que les retables et autres ornements.
L’accord obligatoire de l’autorité religieuse
Reste donc la possibilité de droits d’entrée pour l’accès à certaines parties des édifices, tels des tours, des cloîtres, des cryptes, des salles du trésor ou espaces muséaux, comme c’était déjà le cas à Notre-Dame de Paris avant l’incendie, et comme c’est déjà le cas de bien d’autres édifices.
Pour autant, le principe reste celui de l’accord préalable du ministre du culte. Ainsi, le juge eut à connaître d’une affaire où le curé desservant d’une abbaye s’était opposé à une décision du conseil municipal d’organiser des visites payantes des objets d’art exposés dans l’église.
Il admit alors, dans une décision de 1994, que les objets mobiliers étaient bien susceptibles de faire l’objet d’un droit de visite, mais que la commune ne pouvait instituer ce droit de visite qu’avec l’accord du prêtre desservant, ou des fidèles.
La possibilité de scinder les espaces cultuels des autres
Le seul moyen de mettre en place un droit de visite payant serait donc de distinguer entre les parties de l’édifice qui sont affectées au culte (par exemple la nef), et dont l’utilisation est gratuite et nécessite en principe l’accord du ministre du culte, et les parties qui ne le sont pas (par exemple, le cloître, les tours, la crypte, etc.).
Dans ce second cas, il est possible de déroger à l’obligation de consentement du desservant. On cite toujours à ce propos l’affaire de la visite du toit-terrasse de l’église paroissiale fortifiée de Saintes-Maries-de-la-Mer, entouré d’un chemin de ronde et qui donne une vue imprenable sur les environs.
Depuis des années, la visite de ce toit était ouverte aux touristes, mais en 2004 l’abbé desservant de l’église et l’association diocésaine de l’archidiocèse d’Aix-en-Provence en contestèrent la conformité avec les principes régissant l’utilisation des édifices cultuels.
Saisi de ce litige, le Conseil d’État procéda à une dissociation fonctionnelle des différentes parties de l’édifice : il distingua la toiture, qui est utile à l’édifice cultuel et qui en fait donc partie, du toit-terrasse, au-dessus, qui n’est pas indispensable à l’exercice du culte. Par conséquent, il n’y avait pas besoin de l’accord du desservant pour accéder au toit et créer une visite payante.
Dans le cas de Notre-Dame, il existait avant l’incendie, déjà, une visite des tours indépendante de la visite de la nef. Serait-il possible de rendre cette seule visite payante puisque ces tours ne sont pas affectées au culte ? L’accord du desservant ne serait pas nécessaire dans ce cas, comme pour l’affaire Saintes-Maries-de-la-Mer.
S’agissant de la nef, la mise en place d’une entrée payante serait nécessairement conditionnée à l’accord de l’autorité religieuse, et ne pourrait en tout état de cause s’appliquer aux fidèles. Or, en l’occurrence, le diocèse de Paris semble avoir manifesté son refus.
Surtout, une question majeure se pose : puisque seuls les touristes seraient soumis à un droit de visite, pas les fidèles venus se recueillir (sinon il y aurait atteinte à la liberté religieuse), comment les distinguer ? D’autant qu’il est possible d’être les deux à la fois…
À moins de dissocier les différentes parties de Notre-Dame, celles affectées au culte et les autres, ou de modifier la loi, il est donc fort probable que l’entrée de la cathédrale, lorsqu’elle rouvrira, reste gratuite.
Une erreur dans ce contenu ? Vous souhaitez soumettre une information à vérifier ? Faites-le nous savoir en utilisant notre formulaire en ligne. Retrouvez notre politique de correction et de soumission d'informations sur la page Notre méthode.