Éric Zemmour souhaite « réhabiliter la perpétuité réelle »
Dernière modification : 30 septembre 2022
Autrices : Amelle Benrejdal, Sarah Bekhti et Corinne Joseph, master de droit pénal et politiques criminelles, Université Paris Nanterre
Relectrice : Audrey Darsonville, professeure de droit pénal, Université Paris-Nanterre
Source : BFMTV, 22 janvier 2022
Il existe bien une perpétuité pour les crimes les plus graves. La “perpétuité réelle” (ou incompressible) est une peine de réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté soit d’une durée de 30 ans, soit illimitée. Certaines personnes ne sortent jamais de prison. Nul besoin donc de « réhabiliter » une peine qui existe déjà.
Samedi 22 janvier, Éric Zemmour, candidat à l’élection présidentielle 2022, annonçait vouloir “réhabiliter la perpétuité réelle” car selon lui, “aujourd’hui la perpétuité réelle n’existe pas et les criminels condamnés à perpétuité peuvent avoir des remises de peine dès 18 ans”, alors même que, “certains crimes méritent la prison à vie”.
Prenant comme exemple les attentats du 13 novembre, il demande : “comment imaginer que Sallah Abdeslam, un des terroristes du Bataclan, complice du massacre de 138 de nos enfants, puisse sortir un jour de prison ?”.
Or, ces propos entretiennent la confusion car la peine de perpétuité réelle existe bien et les aménagements de peines sont loin d’être automatiques, surtout pour les infractions terroristes.
La réclusion criminelle à perpétuité est une peine dite “indéterminée” car elle conduit à l’incarcération d’un détenu soit jusqu’à la fin de sa vie, soit jusqu’à un éventuel aménagement de peine. Cette peine fait partie de l’éventail des peines prévues par le Code pénal et peut être prononcée à l’encontre des auteurs des crimes les plus graves comme le crime contre l’humanité, le meurtre aggravé ou encore certains crimes terroristes.
Il existe déjà une période incompressible, dite de sûreté
La peine de réclusion criminelle à perpétuité peut être accompagnée d’une période de sûreté, c’est-à-dire une période durant laquelle le condamné à une peine privative de liberté ne pourra bénéficier d’aucun aménagement de peine telle qu’une semi-liberté, un placement à l’extérieur, une permission de sortir ou encore la libération conditionnelle. Le Code pénal prévoit que “pour les infractions spécialement prévues par la loi” (crime contre l’humanité, proxénétisme aggravé, enlèvement ou séquestration, etc.), la période de sûreté est automatique. Cette dernière est de 18 ans en cas de condamnation à une peine de réclusion criminelle à perpétuité. Toutefois, la cour d’assises ou le tribunal peuvent, par décision spéciale, dans le cas d’une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, porter cette période jusqu’à 22 ans ou a contrario la réduire. En outre, l’article 132-23 du Code pénal prévoit qu’en dehors des cas où la période de sûreté est de plein droit (c’est-à-dire automatique), elle est facultative : c’est à la cour d’assises d’en décider.
Il existe aussi une peine de perpétuité réelle
Le législateur a institué depuis 1994 une peine dite de “perpétuité réelle” pour certaines infractions spécifiques : le meurtre ou l’assassinat d’un mineur de 15 ans précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie ; le meurtre ou l’assassinat d’une personne dépositaire de l’autorité publique à l’occasion ou en raison de ses fonctions (magistrat, fonctionnaire de la police nationale, gendarme, etc.).
Depuis une loi du 3 juin 2016, ont été ajoutés les crimes terroristes faisant encourir la réclusion criminelle à perpétuité. Cette peine de perpétuité réelle signifie que, soit la période de sûreté est portée à 30 ans, soit qu’aucune des mesures d’aménagement de peines ne pourra être accordée au condamné. Dans le premier cas, la personne condamnée pourra demander, après un délai de 30 ans, un aménagement de peine. Mais dans le second cas, la période de sûreté est bien illimitée.
Reste que les articles 720-4 et 720-5 du Code de procédure pénale prévoient que le tribunal de l’application des peines peut accorder un aménagement de peine “si le condamné a subi une incarcération d’une durée au moins égale à trente ans” et à des conditions très strictes puisqu’il faut alors que le condamné ait manifesté des gages sérieux de réadaptation sociale, que la réduction de la période de sûreté ne soit pas susceptible de causer un trouble grave à l’ordre public et après expertise d’un collège de trois experts médicaux. Ainsi, en cas de perpétuité réelle, le condamné ne dispose que d’un mince espoir de sortie en raison des conditions très restrictives d’octroi des aménagements de peine et ce, au bout d’un délai de 30 ans.
En tout état de cause, il faut préciser que la fin de la période de sûreté n’entraîne en elle-même pas la libération de l’individu : ce dernier devra formuler des demandes d’aménagement de peine qui peuvent être rejetées. Par exemple, Tommy Recco, le plus vieux détenu de France, vient de se voir refuser sa 21ème demande d’aménagement de peine. Il est donc faux de dire, comme le soutient Éric Zemmour que “la perpétuité réelle n’existe pas” : malgré la fin de la période de sûreté certaines personnes ne sortent finalement jamais de prison.
Contacté, Éric Zemmour n’a pas répondu à nos sollicitations.
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