Éric Zemmour estime que les associations d’aide aux migrants doivent être traitées comme des “ennemies” et leurs responsables emprisonnés
Dernière modification : 30 septembre 2022
Auteur : Antoine Lunven, master de droit public approfondi, Université de Bordeaux
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Source : L'Obs, 21 janvier 2022
L’aide humanitaire aux étrangers entrés irrégulièrement en France est désormais protégée par la Constitution française, au titre de la fraternité. Si Éric Zemmour entend revenir dessus, il ne peut se contenter de modifier la loi, il lui faudra aussi réserver la fraternité aux Français dans la Constitution même.
En marge d’un déplacement à Menton (Alpes-Maritimes), le 21 janvier, Éric Zemmour a estimé que les associations d’aide aux migrants “seront traité[e]s comme des ennemi[e]s. Il n’y aura plus de subventions qui seront versées. Je les sanctionne. Cédric Herrou devrait être en prison”.
Or le Conseil constitutionnel reconnaît une valeur constitutionnelle au principe de fraternité qu’il tire de la devise républicaine. Mais après tout, rien n’empêche Éric Zemmour, s’il est élu, de contourner la décision du Conseil constitutionnel en modifiant la devise de la France pour lui supprimer la “fraternité”.
“Liberté, égalité, fraternité”, telle est la devise républicaine de la France, inscrite à l’article 2 de la Constitution de 1958. Elle est l’un des symboles de la République française. Cette devise est notamment inspirée de l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et du préambule de la Constitution de 1848.
Chacun des termes de cette devise a connu une reconnaissance et des développements par le Conseil constitutionnel, comme ce fut le cas pour les principes de liberté et d’égalité maintes fois déclinés dans tous les domaines de la vie économique et sociale. En revanche, la fraternité fut longtemps vue comme uniquement “une simple valeur morale”, sans valeur juridique, donc impossible à invoquer devant un tribunal. Cela changea en juillet 2018 par une décision du Conseil constitutionnel.
2018, l’avènement de la fraternité comme norme juridique
Pour Michel Borgetto, professeur de droit à Panthéon-Assas université, c’était la première fois, en 2018, que le Conseil constitutionnel se prononçait directement sur le principe de fraternité, en reconnaissant sa valeur constitutionnelle. Cette reconnaissance conduisit le Conseil constitutionnel à censurer ce qu’on avait appelé le “délit de solidarité”.
Ce délit est issu d’un article du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, renuméroté depuis, qui réprime les actes de “toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France”.
Le Conseil constitutionnel jugea qu’il “découle du principe de fraternité la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national”. Certes, ajouta le Conseil, ce principe de fraternité « n’assure pas aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national”. Certes encore “l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière participe de la sauvegarde de l’ordre public, qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle”. Reste que, en l’occurrence, le Conseil constitutionnel jugea que la balance n’était pas équilibrée et penche trop défavorablement vers la protection de l’ordre public.
Ainsi, “l’aide à l’entrée irrégulière sur le territoire” est toujours pénalement répréhensible. Mais il existe des exceptions légales appelées également “immunités”, de différentes natures, notamment familiales, et depuis la décision du Conseil constitutionnel, sont exemptés “les actes d’aides apportés à des fins humanitaires”. La nouvelle version du délit, issue d’une loi de 2020, en tient compte cette exemption nouvelle.
Un principe constitutionnel de fraternité, recyclable contre d’autres délits ou interdictions
Cédric Herrou, sorte d’égérie de l’aide aux migrants, est l’un des deux requérants à l’origine de la décision du Conseil constitutionnel, avec Pierre Alain Mannoni. À l’instar de Cédric Herrou, Pierre Alain Mannoni fut “relaxé de toutes les poursuites contre lui par la cour d’appel de Lyon”. Patrice Spinosi et Nicolas Hervieu, auteurs du recours, estiment que cette affaire “est riche de perspectives” en droit, car à partir du moment où il devient une norme juridique, il peut être invoqué devant n’importe quel tribunal, contre d’autres textes, par exemple les arrêtés municipaux interdisant la mendicité.
Supprimer la fraternité, ou la franciser
Enfin, il est important de préciser que la décision du Conseil constitutionnel n’a pas supprimé le délit d’aide directe ou indirecte au séjour irrégulier d’étrangers. Ce délit continue de viser ce qu’on appelle les “passeurs”, mais plus aux aidants humanitaires, comme l’était Cédric Herrou. De plus, la Cour de cassation a jugé en 2020 que “la protection des actes solidaires ne se limitait pas aux actions purement individuelles et pouvait s’appliquer aussi aux actes militants accomplis au sein d’associations”, ces mêmes associations d’aide visées par Éric Zemmour.
Une fois élu, Éric Zemmour peut tout à fait supprimer ces exemptions. Mais pour cela, il ne peut pas se contenter de modifier le Code pénal. Il devra modifier la Constitution et retirer la “fraternité” de la devise républicaine, ou la réserver aux Français. Nous proposons “Liberté, égalité, fraternité entre Français et ressortissants de l’Union européenne”… ou tout autre texte constitutionnel réservant la fraternité aux Français et ressortissants de l’Union.
Contacté, Éric Zemmour n’a pas répondu à nos sollicitations.
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