Leif Carlsson, CC 2.0

Éric Verhaeghe, essayiste : « Après la majorité qualifiée et la transformation de la Commission européenne en exécutif européen […], les Etats membres […] auront définitivement perdu leur souveraineté ».

Création : 30 mars 2024

Auteur : Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public à l’Université de Poitiers

Relecteurs : Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay

Emilie Delcher, maîtresse de conférences en droit public à l’Université de Nantes

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle

Source : Le Courrier des Stratèges, 12 janvier 2024

La poursuite éventuelle du processus de construction européenne par le biais d’une modification des traités n’entraîne aucune perte de souveraineté. La France a librement choisi d’exercer en commun certaines de ses compétences au niveau de l’Union européenne, et c’est tout aussi librement qu’elle peut revenir sur ce choix.

Évoquant la prochaine convention sur l’avenir de l’Europe à l’issue de laquelle les traités européens pourraient être modifiés, sur son site Le Courrier des Stratèges, Éric Verhaeghe, diplômé de l’ENA et journaliste, a mis en garde les internautes : « Après la majorité qualifiée et la transformation de la Commission européenne en exécutif européen […], les États membres […] auront définitivement perdu leur souveraineté« . Cette affirmation est juridiquement erronée.

Pas de perte de souveraineté

Aux termes de l’article 88-1 de la Constitution française, « [l]a République participe à l’Union européenne constituée d’États qui ont choisi librement d’exercer en commun certaines de leurs compétences ». Pour le dire autrement, en participant au processus d’intégration européenne, la France n’a pas perdu son statut d’État souverain. Elle a souverainement décidé d’exercer en commun certaines de ses compétences au niveau de l’Union européenne. Il n’y a donc ni transfert, ni abandon de compétences au profit de l’Union. Et c’est tout aussi souverainement qu’elle décidera d’avaliser, ou non, la modification des conditions d’exercice des compétences dont dispose l’Union européenne, par exemple en étendant les domaines dans lesquels les décisions sont prises à la majorité qualifiée plutôt qu’à l’unanimité des États membres.

A fortiori pas de perte définitive de souveraineté

En outre, cet exercice des compétences au niveau de l’Union européenne n’a rien de définitif. À tout moment, la France peut réclamer une modification des traités afin de récupérer l’exercice en propre de certaines compétences, modifier les conditions de leur exercice ou même négocier des « options de retrait » (opting out) pour de ne pas participer à certaines politiques communes. Ainsi la Pologne, tout en étant membre de cette organisation, n’applique pas la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Dans l’hypothèse où la France ne parviendrait pas à obtenir les adaptations souhaitées, il lui est loisible de quitter l’Union européenne en dénonçant les traités auxquels elle est partie, à l’instar de ce qu’a fait le Royaume-Uni avec le Brexit. L’article 50 alinéa 1 du traité sur l’Union européenne (TUE) prévoit, en effet, que « [t]out État membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union ». Par conséquent, dans l’hypothèse où la France consentirait à étendre le domaine des décisions prises à la majorité au sein de l’Union européenne à laquelle elle participe, elle ne ferait qu’exercer sa souveraineté et pourrait, tout aussi souverainement, réclamer ultérieurement une modification des traités ou, en cas de refus, quitter cette organisation.

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