Crédits photo : Frantogian, CC 3.0

Éric Ciotti, entend procéder à “l’hospitalisation sous contrainte des toxicomanes installés dans la rue”

Création : 15 décembre 2022
Dernière modification : 19 décembre 2022

Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay 

Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng et Emma Cacciamani

Source : Programme d’Éric Ciotti à l’élection interne du parti Les Républicains, p. 6

L’hospitalisation forcée constitue une atteinte à la liberté d’aller et venir : elle suppose une menace de péril imminent ou de trouble à l’ordre public. Si rien ne semble s’opposer à ce qu’une loi impose l’hospitalisation forcée de toxicomanes présentant un danger pour eux-mêmes ou leur entourage, généraliser cette mesure à tous les toxicomanes par principe semble bien disproportionné.

C’est dans le programme qui lui a valu d’être élu président du parti Les Républicains : Éric Ciotti veut créer une procédure d’hospitalisation sous contrainte ”des toxicomanes installés dans la rue pour les soigner et garantir la sécurité publique et la quiétude de tous”.

Il existe déjà des injonctions de soins

Il existe déjà plusieurs dispositifs destinés à obliger un toxicomane à suivre une cure de désintoxication. 

Ainsi, lorsqu’une personne est signalée par les services médicaux et sociaux, le directeur de l’Agence régionale de santé peut faire ”procéder à un examen médical et à une enquête sur la vie familiale” et si la personne est en effet intoxiquée, il ”lui enjoint d’avoir à se présenter dans un établissement agréé, choisi par l’intéressé, ou à défaut désigné d’office, pour suivre une cure de désintoxication et d’en apporter la preuve ”.

Le procureur de la République peut enjoindre à la personne ayant fait un usage illicite de stupéfiants de se soumettre à une mesure d’injonction thérapeutique prenant la forme d’une mesure de soins ou de surveillance médicale. Le juge d’instruction, celui des enfants, ou encore le juge de la détention et des libertés peuvent également ordonner des soins

Enfin, le juge peut condamner une personne qui s’est rendue coupable d’un délit, à une peine dite ”complémentaire”, de se soumettre à une mesure d’injonction thérapeutique, que le directeur de l’agence régionale de santé fera appliquer : la personne devra se présenter à un centre de soins. Si elle se soustrait à cette injonction de soin, elle encourt un an d’emprisonnement et une amende.

Dans tous ces cas, le toxicomane n’est pas hospitalisé sous contrainte, il n’y a pas d’atteinte à sa liberté d’aller et venir.

L’hospitalisation sous contrainte généralisée : une atteinte disproportionnée aux libertés ?

L’hospitalisation sous contrainte est une forme d’enfermement, et donc une très forte atteinte aux libertés. Elle est actuellement régie par le Code de la santé publique avec deux situations possibles. 

La première est celle d’un ”péril imminent” pour la personne en cause ou son entourage : toute personne ”atteinte de troubles mentaux (…) lorsque les deux conditions suivantes sont réunies” : il faut que les ”troubles mentaux rendent impossible le consentement de la personne, et que ”son état mental impose des soins immédiats assortis soit d’une surveillance médicale constante justifiant une hospitalisation complète, soit d’une surveillance médicale régulière”. Cette hospitalisation correspond donc à une situation bien particulière où la personne est hors d’état de consentir de façon raisonnée à des soins, est en état de péril. Ce n’est pas le cas du toxicomane visé par le projet d’Éric Ciotti. 

La seconde situation est celle de la personne ”dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public”. Là encore, le toxicomane n’entre pas dans cette catégorie.

Dans les deux cas, le juge des libertés et de la détention est saisi pour contrôle, car il s’agit de priver une personne de sa liberté.

Le risque juridique, si Éric Ciotti veut créer ce nouveau cas d’hospitalisation contrainte, c’est que le Conseil constitutionnel juge disproportionnée l’atteinte à la liberté d’aller et venir, car si certains toxicomanes menacent assurément leur sécurité et celle des autres, ce n’est pas le cas de tous. Le seul moyen de faire passer une telle mesure serait de la réserver aux cas d’atteinte avérée à la sécurité publique, sous le contrôle du juge des libertés et de la détention. 

On est donc loin d’une mesure générale d’enfermement des toxicomanes de rue.

Contacté, Éric Ciotti n’a pas répondu à nos sollicitations.

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