Envoi des « lettres plafonds » pour le budget 2025 : le gouvernement démissionnaire va-t-il trop loin ?
Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public à l’Université de Poitiers
Relecteur : Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public à l’Université de Poitiers
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Pas sûr que le gouvernement démissionnaire outrepasse ses droits tant la définition des « affaires courantes » est imprécise. Reste à voir ce qu’en dirait le Conseil d’État s’il est saisi.
Toujours pas de fumée blanche à l’Élysée pour annoncer un nouveau gouvernement. Un mois après la démission du gouvernement de Gabriel Attal, celui-ci est toujours aux manettes pour expédier les affaires courantes.
Or, l’automne arrive et avec lui, le vote du budget de l’année à venir. Comme chaque année, le Premier ministre communique des « lettres plafonds » aux autres ministères en vue de la préparation du budget. Ces lettres indiquent les enveloppes de crédits accordées à chaque ministère pour l’an prochain et leurs plafonds de dépenses.
Mais cette année 2024 est particulière. Le gouvernement étant démissionnaire, il ne doit gérer que les affaires courantes. Dès lors, la question se pose : le budget fait-il partie de cette catégorie d’actes quotidiens à laquelle un gouvernement démissionnaire doit se cantonner ? Il n’est pas évident de répondre à cette question tant la situation est inédite.
Que regroupe la catégorie des affaires courantes ?
Comme nous l’avons expliqué, la théorie des affaires courantes intervient après la démission d’un gouvernement, qui reste en charge du fonctionnement régulier des services publics, des nominations, du paiement des dépenses engagées et des affaires urgentes. Il demeure donc garant de la continuité de l’État, sans pouvoir mener de réforme.
Ni la loi, ni la Constitution ne donnent toutefois une définition précise des affaires courantes. C’est le Conseil d’État, compétent pour contrôler les décrets du gouvernement, qui va les annuler si ceux-ci outrepassent les pouvoirs d’un gouvernement démissionnaire. À titre d’exemple, dans une décision du 4 avril 1952, le Conseil d’État a annulé un décret du gouvernement Gouin (en exercice de janvier à juin 1946) pris quelques jours après sa démission. Le décret appliquait une loi sur le droit de la presse en Algérie. Le juge a déclaré que cela ne constituait pas une “affaire courante”, “en raison de son objet même, et à défaut d’urgence”.
Mais cette décision, rendue il y a plus de soixante-dix ans, ne donne pas plus d’indications sur ce que serait une « affaire courante« . Le Conseil d’État doit donc se prononcer au cas par cas s’il est saisi de la question.
Un contour dessiné par le Secrétariat général du gouvernement
Le Secrétariat général du gouvernement (SGG), un organisme interministériel chargé de coordonner le travail du gouvernement, a publié une note le 2 juillet dernier pour expliquer prudemment ce qui relève des « affaires courantes » ou non. Il distingue deux sous-catégories : les « affaires ordinaires », « dictées par la marche normale de l’État » dans la mesure où « elles ne nécessitent aucune appréciation de nature politique » et les « affaires urgentes », « dont l’adoption immédiate est dictée par une impérieuse nécessité ».
Cette dernière catégorie peut être invoquée dans le cadre de la situation en Nouvelle-Calédonie. Le gouvernement, même démissionnaire, pourrait décréter l’état d’urgence. Après douze jours, un vote de l’Assemblée nationale serait toutefois nécessaire (loi du 3 novembre 1955).
La question du budget est plus épineuse. Si la continuité financière de l’État pourrait relever d’une urgence et justifier des initiatives du gouvernement, tant que le Conseil d’État n’est pas saisi, il est difficile de se prononcer. La question devrait pourtant bientôt être réglée, l’Élysée ayant annoncé qu’un nouveau gouvernement serait nommé dès mardi 27 août, après des journées d’échanges avec les partis politiques.
Reste que, gouvernement démissionnaire ou de plein exercice, il faudra un budget pour l’État avant le 1ᵉʳ janvier de l’année d’exercice (article 47 de la Constitution).
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