Enfants albinos en Afrique : une vidéo décontextualisée, mais des persécutions bien réelles
Auteur : Hugo Guguen, juriste
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste
Source : Compte Facebook, le 30 décembre 2024
Une vidéo montrant des enfants atteints d’albinisme lors d’un repas de charité a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux ces dernières semaines. Utilisée pour illustrer des conditions de vie difficiles des personnes albinos en Afrique, la localisation n’est pas toujours la bonne.
Bras mutilés, yeux arrachés, vendus en pièces détachées, voici l’horreur que peuvent vivre les personnes albinos dans certains pays africains en raison de leur différence. Sur les réseaux sociaux, une vidéo circule prétendant montrer des albinos forcés de vivre reclus pour ne pas se faire tuer. Dans cette dernière, on voit une pièce remplie d’enfants albinos de tout âge mangeant de manière conviviale autour de plusieurs plats.
Cette vidéo, partagée sur de nombreux réseaux d’extrême droite, est utilisée afin de discréditer le continent africain : « On nous présente toujours l’Afrique comme un exemple de tolérance et de vivre ensemble alors que c’est le dernier continent qui pratique les massacres inter-ethnique / tribaux », écrivent, par exemple certains utilisateurs de Facebook.
Dans le descriptif des posts dans lesquels cette vidéo est partagée, de nombreux internautes précisent aussi : « Malawi les albinos en danger de mort, les albinos vivent reclus pour ne pas se faire tuer. Ils sont la cible de fréquentes attaques dans ce pays d’Afrique de l’Est. »
Si les persécutions auxquelles les personnes albinos font face sont nombreuses et bien réelles, en raison de leurs différences et de croyances archaïques, cette vidéo ne montre toutefois pas une scène tournée au Malawi.
Destination inexacte, souffrance réelle
Grâce à une recherche image inversée, nous avons pu retrouver l’original. Tournée à Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo, la vidéo provient d’un repas de charité organisé le 3 décembre 2024 par le regroupement altruiste Aimons-nous Vivants avec des enfants recueillis par la Fondation Pauline Albinos.
« Ce fut une journée chargée, mais grâce à Dieu, tout s’est bien passé », écrivait ainsi le regroupement humanitaire sur son site web. « Le repas a bien été préparé au Congo précisément dans la ville province de Kinshasa à la commune de Limete », confirme aux Surligneurs l’organisation Aimons-nous Vivants.
La Fondation Pauline Albinos, quant à elle, est une structure d’hébergement réservée exclusivement aux enfants albinos. Elle a pour but de « protéger l’enfant albinos discriminé et abandonné pour lui donner une vie meilleure comme tous les autres enfants », nous apprend l’introduction de sa page Facebook.
Si l’utilisation de cette vidéo et ses partages sont trompeurs, ils ne retirent rien à la triste réalité dans laquelle vivent les personnes atteintes d’albinisme dans le monde, et plus particulièrement sur le continent africain.
Naître albinos en Afrique, une tragédie
L’albinisme est une maladie rare, héréditaire et non contagieuse, qui affecte la pigmentation de la peau et qui existe dans le monde entier, indépendamment de l’appartenance ethnique ou du genre. Selon les Nations unies, la prévalence de l’albinisme varie dans le monde. En Afrique subsaharienne, là où la condition est la plus répandue, les estimations oscillent entre 1 cas sur 5 000 et 1 cas sur 15 000.
Salif Keita, musicien malien lui-même atteint d’albinisme, témoigne des difficultés rencontrées. « Naître albinos en Afrique est une véritable tragédie », rapporte-t-il. Il explique qu’en raison de croyances occultes sur l’origine de leur couleur de peau blanche, les personnes albinos sont isolées, persécutées et parfois assassinées. « Les albinos y meurent par dizaines et sont vendus en pièces détachées, on coupe leurs membres », explique la star malienne fondatrice de la Salif Keita Global Foundation.
Depuis 2006, plus de 620 attaques contre des personnes atteintes d’albinisme ont été enregistrées dans 31 pays, rapporte l’association caritative Under the Same Sun.
« C’est un problème commun à toute l’Afrique », nous confirme Bonface Massah, directeur exécutif de Africa Albinism Network, organisation dédiée à la promotion des droits, du bien-être et de l’inclusion des personnes atteintes d’albinisme en Afrique.
« Il y a des attaques partout sur le continent, beaucoup d’entre elles ne sont pas rapportées. Les gens courent vers vous, vous attrapent et vous coupent un bras. C’est dû à de l’ignorance, surtout dans les zones rurales », précise-t-il aux Surligneurs.
Au Malawi plus précisément, plus de 170 crimes perpétrés contre des personnes albinos ont été signalés, dont 20 meurtres qui ont été commis depuis novembre 2014, selon Amnesty International.
D’après les témoignages recueillis par Le Monde, dans ce pays, les personnes albinos peuvent être traquées pour leurs os et leur peau blanche, vecteurs de pouvoirs surnaturels selon la rumeur. En plus de cette chasse à l’homme impulsée par certains guérisseurs traditionnels, s’est organisé un marché noir pour les parties du corps des albinos qui serviraient « à concocter des potions magiques censées apporter richesse, bonheur et chance ».
Selon Amnesty International, le profil des agresseurs de personnes atteintes d’albinisme étant extrêmement large, ces dernières ont très peu d’endroits où elles peuvent se réfugier au Malawi, car même leurs proches peuvent représenter une menace.
Un cadavre d’une valeur de 75 000 dollars
Cette situation désastreuse n’est malheureusement pas propre qu’au Malawi. Les personnes albinos sont persécutées dans de nombreux autres pays africains, tels qu’en République démocratique du Congo, au Mozambique ou encore en Tanzanie, où le nombre d’attaques est le plus élevé. Dans ce pays où les personnes albinos sont appelées « zeru zeru » qui signifie « fantômes », plus de 200 attaques ont été répertoriées, rapporte Under the Same Sun.
Selon l’ONU, un bras ou une jambe d’une personne atteinte d’albinisme peut se négocier 2 000 dollars tandis qu’un corps entier peut même atteindre 75 000 dollars. Dans un reportage, Franceinfo rapporte qu’après avoir été mutilées et tuées, les personnes albinos peuvent voir leur tombe profanée, leur corps déterré et leur sang récupéré.
« L’une des victimes était une enfant dont on aurait retiré les yeux et les organes, sans doute dans le cadre d’un rituel, avant de jeter son corps dans une rivière », alarmait en 2022 Mukuka-Anne Miti-Drummond, experte indépendante sur l’exercice des droits de l’homme par les personnes atteintes d’albinisme.
Cette violence inouïe a conduit les Nations unies à juger que les personnes atteintes d’albinisme seraient « menacées de disparition méthodique », si rien n’est fait pour les protéger des attaques et que ces dernières « constituent des crimes de haine », selon l’experte.
Pas de réclusion, mais des établissements spécialisés
En 2024, Mukuka-Anne Miti-Drummond a publié un rapport pour les Nations unies, intitulé, Enfants atteints d’albinisme et droit à une vie de famille, mettant en lumière que, dans des pays comme le Malawi et la Tanzanie, les parents et les travailleurs sociaux sont confrontés à un terrible choix entre « risquer la vie des enfants au sein de la communauté ou protéger leur vie en les plaçant dans des établissements qui représentent la moins mauvaise option ».
Ces propos sont confirmés par le groupe Aimons-nous Vivants : « Ces enfants ne sont gardés pour aucune autre raison que leur bien-être et leur survie, car la plupart des enfants albinos sont rejetés des autres orphelinats en raison de leur différence de peau ».
Les enfants atteints d’albinisme ne sont néanmoins pas forcés à vivre reclus dans ces établissements. Si des dispositions gouvernementales d’isolement avaient bien été mises en place, celles-ci ne s’appliquent plus aujourd’hui.
« Quand les massacres en Tanzanie ont commencé vers la fin des années 2000, les personnes atteintes d’albinisme devaient être mises sous protection gouvernementale. C’était un contexte difficile, une tentative désespérée de sauver des vies. Désormais, il n’y a plus besoin de ces camps, la grande majorité d’entre eux ont d’ailleurs été fermés », précise Bonface Massah aux Surligneurs.
« Aujourd’hui, à travers l’Afrique, nous avons des pensionnats, similaires à ceux pour enfants aveugles, où les enfants atteints d’albinisme poursuivent leur scolarité. Je peux confirmer que ces enfants ne sont pas enfermés, ils peuvent partir à tout moment pour rentrer chez eux ou partir en vacances. »
Pour le directeur de l’Africa Albinism Network, il faut précisément éviter la réclusion des personnes atteintes d’albinisme afin de faire disparaitre les rumeurs prêtant des pouvoirs surnaturels à ces dernières.
« Afin de sensibiliser les populations, les personnes albinos doivent vivre dans leur communauté, nous devons vivre aux côtés des gens pour qu’ils comprennent que nous ne sommes pas différents. Avec le temps, ils nous acceptent et nous reconnaissent comme des êtres humains. Je peux dire avec confiance que ces croyances s’estompent et que les attaques ont diminué grâce à cette prise de conscience. »
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