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Capture d'écran Cnews.

Emmanuel Macron pourrait-il annuler les élections en cas de guerre ?

Création : 28 novembre 2025

Auteur : Guillaume Baticle, journaliste, doctorant en droit public à l’Université de Poitiers

Relecteurs : Thibaud Mulier, maître de conférences en droit public à l’Université Paris Nanterre

Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public à l’Université de Poitiers

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle, journaliste, doctorant en droit public à l’Université de Poitiers

Source : Cnews, 20 novembre 2025

Ségolène Royal suggère qu’Emmanuel Macron rêverait d’une France en guerre pour annuler la prochaine présidentielle. Mais le droit français, à l’inverse du régime ukrainien, ne permet ni d’annuler ni de suspendre une élection, même en cas de conflit.

Ségolène Royal a-t-elle lu dans les pensées d’Emmanuel Macron ? Invitée sur le plateau de CNews, le 20 novembre, l’ancienne candidate à la présidentielle de 2007 réagissait aux propos du chef d’état-major des armées, le général Fabien Mandon, qui venait d’alerter les maires sur la menace russe : « Ce qu’il nous manque […] c’est la force d’âme pour accepter de nous faire mal pour protéger ce que l’on est », a-t-il déclaré, estimant qu’il fallait être prêt à « accepter de perdre ses enfants ».

Face à Pascal Praud, Ségolène Royal y voit davantage qu’une mise en garde militaire : presque une stratégie politique. Selon elle, si la France devait « entrer en guerre », il n’y aurait alors plus d’élection présidentielle. Un scénario qu’elle présente comme le « rêve inconscient » d’Emmanuel Macron, qui a réaffirmé « toute sa confiance » au chef d’état-major après la polémique.

Mais derrière cette lecture très politique des intentions du chef de l’État, une question se pose : un tel scénario est-il seulement possible en droit ? Peut-on, en France, suspendre une élection présidentielle au motif d’un conflit armé ?

En cas de guerre, des régimes juridiques spéciaux

Si la France entre en guerre ou est menacée, des régimes juridiques sont prévus. Le premier est celui des pouvoirs exceptionnels de l’article 16 de la Constitution. Utilisé une fois pendant la guerre d’Algérie, il permet au président de la République, sous des conditions strictes, de prendre les « mesures exigées par ces circonstances », afin « d’assurer aux pouvoirs publics constitutionnels […] les moyens d’accomplir leur mission ».

Le second, c’est l’état de siège. Décrit à l’article 36 de la Constitution, il « est décrété en Conseil des ministres », signé par le président de la République. Au-delà de douze jours, seul le Parlement peut décider de le proroger. Mais qu’est-ce que cela signifie concrètement ?

Les détails se trouvent parmi les articles 2121-1 à 2121-8 du code de la défense. On y apprend que l’état de siège ne peut être décrété « qu’en cas de péril imminent résultant d’une guerre étrangère ou d’une insurrection armée ». Les pouvoirs de police et de maintien de l’ordre sont aussitôt transférés à l’armée. Certains crimes et délits relèvent également de la compétence des tribunaux militaires.

En outre, l’autorité militaire peut décider des perquisitions à n’importe quelle heure de la journée et de la nuit. Elle peut aussi déplacer de la zone soumise à l’état de siège les personnes condamnées ou qui n’ont tout simplement pas leur domicile dans cette zone. Enfin, si elle les juge « de nature à menacer l’ordre public », l’autorité militaire peut « interdire les publications et les réunions ».

Une situation qui ne nous est pas si étrangère, puisque c’est aussi en partie ce que prévoit le régime de l’état d’urgence. Mis en place pour la dernière fois en France entre 2015 et 2017 en réponse à la vague d’attentats, il permet au gouvernement et aux préfets de restreindre certaines libertés « en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ».

Pas d’annulation des élections prévue explicitement

Ségolène Royal semble faire un parallèle avec le droit ukrainien. La loi martiale, adoptée dès février 2022 en réponse à l’invasion russe, prévoit à son article 19 que la tenue d’élections est interdite, jusqu’à ce que cette loi soit levée. Mais le droit français, qu’il s’agisse de l’article 16 ou 36 de la Constitution, est très différent et ne dispose rien de tel.

Si les textes ne prévoient pas explicitement le report ou l’annulation des élections durant la période de l’état de siège, l’interdiction par l’armée des publications et des réunions publiques peut fortement affecter une campagne électorale, la bonne tenue et la sincérité du scrutin.

Le Parlement peut déjà, même en temps de paix, voter une loi pour reporter des élections. Il l’a fait en 2005 pour repousser les élections municipales et sénatoriales d’un an, compte tenu du calendrier électoral très chargé en 2007. Et comme toute loi adoptée par le Parlement, le Conseil constitutionnel veillera à ce que cette mesure ne soit pas disproportionnée. Mais l’élection présidentielle semble connaître un traitement différencié.

Le Conseil constitutionnel peut toutefois repousser l’élection présidentielle

L’organisation de l’élection présidentielle est encadrée par l’article 7 de la Constitution. Il précise que « le Conseil constitutionnel peut proroger les délais [entre la tenue de l’élection et l’expiration du mandat en cours] sans que le scrutin puisse avoir lieu plus de trente-cinq jours après la date de la décision du Conseil ». Un report possible, mais donc très limité.

En clair, rien dans le droit ne permet d’annuler une élection. Et ce, même si les textes relatifs aux régimes d’exception peuvent sembler flous dans leur rédaction et peuvent permettre au moins un report, mais de façon très encadrée. 

Si toutefois, le président de la République abusait de ses pouvoirs exceptionnels et de la situation, cela se ferait hors du cadre juridique et constituerait une violation de la Constitution, risquant de dériver vers un véritable coup d’État puisqu’il remettrait en cause la périodicité nécessaire des élections.

 

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