Emmanuel Macron, lors d’une visite en Algérie, a affirmé que la colonisation était un « crime contre l’humanité »

Création : 20 février 2017
Dernière modification : 17 juin 2022

Autrice : Laurence Burgorgue-Larsen, professeure de droit, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Source : Le Monde, 14 février 2017

E. Macron, en voulant confronter la France à son passé colonial en utilisant une formule juridique, a exprimé son point de vue personnel, mais pas l’état du droit tel qu’interprété par les juges.

Cette affirmation a entraîné des réactions les plus vives par des représentants de la classe politique française, tant le rapport de la France a son histoire coloniale, notamment en Algérie, est marquée par des multiples meurtrissures qui ne sont toujours pas cicatrisées (voir l’entretien accordé par Benjamin Stora au journal Libération).

Une telle assertion, sous l’angle juridique, a t’elle un sens ? Le foisonnement des textes, à l’échelle internationale et interne, démontre qu’il est particulièrement délicat, aujourd’hui, de délivrer une définition uniforme du crime contre l’humanité ; seul son caractère imprescriptible étant un élément acquis.

Apparu le 8 août 1945 à l’art. 6 c). du Statut du Tribunal Militaire international de Nuremberg, et ayant vocation à s’appliquer uniquement aux crimes perpétrés lors de la Seconde Guerre Mondiale, la définition du crime a par la suite évolué, sur la base de la jurisprudence des Tribunaux pénaux internationaux pour l’Ex-Yougoslavie (TPIY) et le Rwanda (TPIR), pour donner naissance à l’article 7 du Statut de la Cour pénale internationale (dit le Statut de Rome). On constate que les motifs discriminatoires sont élargis (art.7 h), le crime d’apartheid y est intégré (art.7 j.), tandis que l’expression d’ « autres actes inhumains de caractère analogue causant de grandes souffrances » (art.7k.) permet d’intégrer de multiples situations, au gré de l’évolution des situations internationales et de l’interprétation qui en est faite par les juges.

Quant aux droits internes, chaque État est libre d’intégrer dans son code pénal, la définition qu’il estime la plus pertinente. Or, en France, c’est la loi du 22 juillet 1992, telle que modifiée par la loi du 5 août 2013, qui introduit dans le code pénal français la notion, à l’article 212-1. La définition a donc évolué y compris en France afin de prendre en compte les avancées du droit international pénal actées par l’article 7 du Statut de Rome.

Si la colonisation, per se, ne figure pas dans cette disposition, on remarque toutefois que ce sont pas moins de 11 actes qui peuvent être qualifiés de crimes contre l’humanité, à partir du moment où ils sont « commis en exécution d’un plan concerté à l’encontre d’un groupe de population civile dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique ».

On voit dès lors poindre toutes les difficultés d’interprétation que recèlent de telles formules, si on devait les appliquer aux actes commis et aux pratiques déployées lors de la colonisation dans les multiples territoires administrés par la France.

En tout état de cause, seuls des juges (sur la base de travaux des historiens notamment et à la lumière des développements les plus récents de la jurisprudence internationale en matière de crimes contre l’humanité), seraient à même de « qualifier juridiquement les faits » qui se sont déroulés à cette époque (et ce dans l’hypothèse du lancement de procédures judiciaires en France). Tout autre qualification présentée à titre politique sera toujours le fait d’une appréciation subjective, sujette à discussions et controverses.

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