Emmanuel Macron : “ça marche pas le blocage des prix”
Dernière modification : 29 septembre 2023
Auteur : Jean-Paul Markus, Professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng
Source : Interview du 24 sept. 2023, TF1 et France 2, 20 h, 35’
Les prix sont libres en France depuis 1986, à quelques exceptions près. Un blocage des prix généralisés ou limité aux produits courants est illégal, mais la loi actuelle permet des blocages très ciblés sur des périodes courtes mais renouvelables, à condition de ne pas pénaliser les entreprises européennes.
Le Président de la République a affirmé, face aux journalistes, que le blocage des prix ne pouvait pas fonctionner, car en France “les prix ne sont plus administrés”. C’est vrai. Depuis une ordonnance du 1er décembre 1986, le principe de liberté des prix a été posé, inscrit depuis dans le code de commerce : “Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les prix des biens, produits et services relevant (…) sont librement déterminés par le jeu de la concurrence” (article L. 410-2). Les prix en France résultent donc de la confrontation de l’offre et de la demande.
Auparavant, des prix aussi divers que ceux du pain, de l’essence, des transports ferroviaires, du tabac, de l’alcool, de certains loyers ou encore de certaines assurances étaient dits administrés, c’est-à-dire fixés par l’État, avec plus ou moins de marge. Il ne reste que quelques prix administrés, comme celui du livre, celui des médicaments remboursés par la sécurité sociale, ou encore les émoluments des notaires lorsqu’ils accompagnent une vente immobilière ou une succession.
Revenir sur la liberté des prix ?
Problème : en dehors des cas particuliers déjà mentionnés, les prix ne peuvent être fixés, et encore moins bloqués, sans risquer d’enfreindre le droit européen. La Cour de justice de l’Union s’est déjà prononcée sur les blocages de prix (décision du 18 octobre 1979), en jugeant qu’ils peuvent être contraires au principe de libre circulation des marchandises si les prix fixés aboutissent à handicaper les importations en provenance de l’Union. Ce serait le cas si la loi fixait des prix trop bas, empêchant les importateurs de répercuter leurs coûts d’importation (ce qui aurait pour effet d’évincer les produits européens non français). La même Cour de justice a jugé en 1985 que le prix de blocage doit tenir compte d’une moyenne européenne, et ne pas se baser uniquement sur les coûts de production français (décision du 29 janvier 1985). Or, l’inflation dans les autres États de l’Union étant plus forte, un blocage en France pourrait être perçu comme une mesure protectionniste, car pénalisant les produits provenant de ces autres États.
Reste à savoir si, aux yeux de la Cour de justice, le contexte ayant évolué, un blocage des produits de première nécessité ne pénalisant pas trop les importations des autres États membres serait compatible avec les règles européennes. Peut-être, si la France parvient à justifier d’un impératif d’intérêt général. Mais ce sera difficile. On rappellera que lorsque l’État fixait encore le prix de vente des tabacs dans les années 1980, l’industrie du tabac des autres États européens avait attaqué la France sur le fondement du droit européen, et obtenu une indemnisation en raison des pertes enregistrées et du frein à l’importation que cette mesure constituait (Conseil d’État, 28 février 1992).
Bloquer certains prix ?
La loi actuelle permet à l’État de fixer les prix, mais de manière exceptionnelle. L’article L. 410-2 du code de commerce, dans sa version actuelle, prévoit une première exception à la liberté des prix “dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d’approvisionnement”, les prix peuvent être réglementés par un décret. La France n’est pas dans cette situation, mais elle l’a été il n’y a pas si longtemps : lors de la pandémie de covid, le prix des solutions hydro-alcooliques et des masques a été administré par décrets du 4 avril 2020 et de 10 juillet 2020. Il y avait bien une pénurie, ainsi qu’une forte spéculation sur ces produits.
Seconde exception prévue par le même article L. 410-2, le gouvernement peut prendre “des mesures temporaires motivées par une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé”, “contre des hausses ou des baisses excessives de prix”. Ce texte a déjà été appliqué plusieurs fois, en raison de la forte hausse des prix du carburant liée à la première guerre du Golfe par décret du 8 août 1990, puis à Mayotte en raison de la hausse des carburants, par décrets du 27 décembre 2013, puis récemment, en raison du coût d’approvisionnement en carburant toujours à Mayotte.
Mais là encore, l’inflation généralisée actuelle ne répond pas à ces critères : elle n’est pas exceptionnelle, nous avons déjà connu en France une inflation à deux chiffres, et l’inflation actuelle s’installe dans la durée. Il n’y a pas non plus de situation anormale du marché : la concurrence joue normalement, et de toute manière cette exception ne vaut que “pour un secteur déterminé”.
Sur la base de ces exemples, on pourrait imaginer des blocages très ponctuels, portant par exemple sur le prix de l’électricité ou du gaz, sur les loyers, sur les cantines scolaires, etc., pour six mois (renouvelables il est vrai). Ce sont autant de secteurs bien déterminés sur lesquels il existe une pression à la hausse anormale, ou un intérêt social incontestable. Cela signifie que bloquer certains prix bien déterminés, pour une période courte renouvelable et sans pénaliser les entreprises européennes, ça peut se tenter et marcher sans modifier la loi.
Modifier la loi ?
Bloquer les prix de façon plus étendue, en englobant une large palette de produits de première nécessité, au seul motif qu’ils augmentent trop, supposerait de modifier la loi. Ce n’est pas impossible, mais reste à savoir si cela “marcherait”, comme le dit Emmanuel Macron : actuellement, le prix des médicaments est administré, et fixé en-dessous des prix constatés dans d’autres États européens. Résultat, les fabricants préfèrent vendre ailleurs et la France se retrouve avec des pénuries de médicaments. Bloquer les prix dans un marché européen et mondial ouvert, c’est prendre le risque d’autres pénuries.
Contacté, le Président de la République n’a pas répondu à nos sollicitations
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