Crédit : Arthur Courant (CC BY-SA 4.0, photo modifiée)

Emmanuel Macron a-t-il bafoué le Parlement en ne l’informant pas du déploiement de moyens militaires français en soutien d’Israël ?

Création : 21 octobre 2024

Auteur : Thibaud Mulier, maître de conférences en droit public, université Paris Nanterre, CTAD

Relecteur : Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public à l’université de Poitiers

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste

Source : Compte X d'Aurélien Saintoul, le 6 octobre 2024

L’article de la Constitution qui régit l’obligation faite au gouvernement d’informer le Parlement d’une opération militaire est imprécis dans sa formulation. Les gouvernements ne choisissent pas toujours d’informer les parlementaires d’actions militaires qu’ils ont décidées, portant parfois atteinte à leur droit constitutionnel à l’information.

Après l’assassinat ciblé à Beyrouth du secrétaire général du Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah, par l’armée israélienne, le 27 septembre 2024, le régime iranien a lancé en représailles près de 200 missiles balistiques contre Israël, le 1er octobre 2024.

Cette attaque a fait l’objet d’un communiqué de l’Élysée condamnant l’attaque de l’Iran, précisant qu’étant “attachée à la sécurité d’Israël, la France a mobilisé aujourd’hui ses moyens militaires au Moyen-Orient pour parer la menace iranienne”.

Dans un tweet du 6 octobre 2024, le député insoumis Aurélien Saintoul a dénoncé “un nouveau scandale démocratique.” D’après lui, la mobilisation de moyens militaires français lors du bombardement d’Israël par l’Iran est un problème car le Parlement aurait dû être au courant. “Il n’y a eu […] aucune communication de l’exécutif au parlement, comme l’exige l’article 35 de la constitution en cas d’intervention des forces armées à l’étranger”, écrit Aurélien Saintoul qui estime qu’Emmanuel Macron “bafoue encore le parlement”.

Un article 35 imprécis, source d’une interprétation gouvernementale restrictive

Ce que le député de l’opposition omet de dire, c’est que l’article 35, alinéa 2, de la Constitution auquel il fait référence est largement indéterminé. Sa mise en œuvre est souvent envisagée telle qu’indiquée par le texte, ce qui laisse une (large) latitude d’action au Gouvernement.

Selon cet alinéa, ajouté par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, toute décision du Gouvernement “de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention”, doit faire l’objet d’une information du Parlement.

L’une des difficultés de cet article réside dans le sens de “faire intervenir les forces armées à l’étranger”. Les débats constituants de 2008 apportent un éclairage.

Selon le ministre de la Défense de l’époque, “forces armées” concerne “l’envoi des militaires en corps constitués à des fins opérationnelles”. Cette interprétation exclurait alors les opérations confidentielles de renseignement ou les actions de troupes prépositionnées en vertu d’accords de défense.

Ce même ministre estimait aussi que l’opération militaire devrait concerner un nombre suffisant de moyens humains déployés et avoir une résonance politique suffisamment significative pour justifier le recours à l’article 35.

Cette interprétation n’a pas empêché une pratique gouvernementale peu lisible, pour ne pas dire restrictive. Ainsi, en 2016, sous la présidence de François Hollande, le gouvernement avait estimé que l’extension de l’opération Chammal en Irak et en Syrie au cours de  l’été ne justifiait pas un nouveau recours de l’article 35.

Pourtant, les modalités avaient évolué : à l’origine, elles étaient limitées à des opérations aériennes, mais des canons CAESAR furent déployés sur le sol irakien. L’exercice du droit à l’information de l’ensemble des parlementaires aurait pu se poser, mais le gouvernement s’y était refusé.

Quand le Tchad fut menacé d’un “coup d’État”, selon les mots du ministre des Affaires étrangères de l’époque Jean-Yves Le Drian, par une colonne de 50 pickups venus de Libye, en février 2019, sous la présidence d’Emmanuel Macron, la France a porté militairement assistance au président Idriss Déby. Et ce, à la demande de ce dernier et par des moyens aériens mobilisés par une synergie entre plusieurs opérations en cours.

Même s’il ne s’agissait que d’opérations aériennes, le Gouvernement avait alors préféré en informer le Parlement. L’absence d’un accord de défense avec le Tchad, ainsi que l’impossibilité d’y apporter assistance dans le cadre de l’opération Barkhane l’avait convaincu du bien-fondé de cette démarche.

En laissant, de fait, le soin de définir le périmètre des “interventions militaires à l’étranger”, le Gouvernement a retenu une interprétation restrictive qui, au-delà d’exclure un certain nombre d’opérations de caractère militaire — opérations d’assistance humanitaire (2012, Tamour), d’évacuation de ressortissants (2023, Sagittaire) ou de forces spéciales — ne permet pas de déterminer avec certitude si le Parlement doit ou non en être informé.

Une divergence d’interprétations, commode pour le Gouvernement

Le tweet du député Aurélien Saintoul révèle donc une divergence d’interprétations avec le Gouvernement français. L’équivoque de la formule de la Constitution tourne ici à l’avantage du gouvernement, ce qu’avait déjà dénoncé, en juillet 2016, un rapport d’information sénatorial. Ce dernier estimait que “la pratique reste suffisamment imprécise, fluctuante et trop limitée”, invitant alors à “réaffermir” le contrôle parlementaire. Sans succès depuis.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Hormis le détail apporté selon lequel des “moyens militaires” français ont été utilisés en réponse aux frappes iraniennes, le communiqué de l’Élysée laisse supposer que les dispositifs utilisés début octobre 2024 étaient des moyens de défense au sol et aérien. En effet, lors de précédents tirs iraniens sur Israël en avril 2024, la France avait déjà utilisé des moyens de défense aérienne “qui peuvent être au sol [depuis les emprises militaires françaises au Moyen-Orient, comme en Jordanie par exemple, ndlr] et dans les airs” consistant, à l’époque, à intercepter les missiles et drones lancés par l’Iran.

Il reste difficile de trancher sur le recours à l’article 35, alinéa 2, de la Constitution tant le communiqué de l’Élysée est vague sur la teneur de l’engagement militaire français. Il précise que la France a utilisé ses moyens militaires déployés au Moyen-Orient. Mais, faute d’éléments plus précis, il faut se risquer à quelques suppositions.

De manière générale, les présences militaires françaises au Moyen-Orient, en Égypte (raisons humanitaires), au Liban (opération FINUL), en Jordanie et en Irak (opération Chammal) ou aux Émirats arabes unis (accord de défense) concernent des situations qui sont exclues du champ du droit à l’information parlementaire au sens des débats constituants de 2008.

Pour autant, si des moyens militaires liés à ces présences sont mobilisés pour autre chose que la mission pour lesquels ils sont dévolus, le Gouvernement français n’est pas exonéré de recourir à l’article 35, par exemple, pour aider Israël. En effet, ces présences françaises ne sont pas corrélées à la menace iranienne qui pèse sur l’État hébreu.

Or, ce dernier semble avoir sollicité une demande d’assistance ou, peut-être, a fait valoir son droit à la légitime défense collective. C’est ce que l’on se permet de déduire, faute de mieux, des propos du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères au micro de France inter, le 18 octobre 2024, lorsqu’il a rappelé qu’au-devant de l’attaque d’une ampleur inédite de l’Iran contre Israël, la France a mobilisé ses moyens militaires pour l’ “aider à parer” les frappes iraniennes.

Faut-il en conclure que le Gouvernement aurait donc dû tenir informé le Parlement ? En tout cas, par le passé, il est déjà arrivé qu’au moment où un État demandait une assistance, comme avec le Tchad en 2019, l’aide apportée par la France a pu faire l’objet d’un recours à l’article 35 de la Constitution.

Mais tant qu’il continuera à déterminer à sa discrétion les conditions du recours à l’alinéa 2 de l’article 35, le Gouvernement, contrôlé par le Parlement, maîtrisera la façon dont son contrôleur… peut le contrôler (sans s’exposer à une sanction autre que le dépôt d’une motion de censure).

En l’absence de révision de l’article 35 ou d’une disposition le précisant, le Parlement dépend du bon vouloir gouvernemental pour faire valoir son droit constitutionnel à l’information. Il ne peut donc que s’en remettre à des dénonciations qui, en dehors du cénacle des commissions parlementaires, ne produit guère d’inflexion sur la pratique gouvernementale.

 

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