Élections régionales : comprendre le mode de scrutin
Dernière modification : 22 juin 2022
Autrice : Camille Morio, maîtresse de conférences en droit public à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye
Vidéo et illustrations : Factoscope
« Les Surligneurs » et la rédaction de « FactoScope » (École publique de journalisme de Tours) s’associent pour traiter l’actualité des élections régionales.
Le mandat des conseillers et conseillères régionaux dure 6 ans avec renouvellement intégral. Les dernières élections datant des 6 et 13 décembre 2015, les prochaines doivent se tenir en 2021. Initialement prévues en mars, elles ont été repoussées en raison de la crise de la Covid-19. À la publication de cet article et suite à des hésitations, le gouvernement s’oriente vers un ultime report d’une semaine, aux 20 et 27 juin, au lieu des 13 et 20 juin. Mais le mode de scrutin n’est pas en jeu. Ces élections se déroulent selon un scrutin de liste mixte alliant proportionnelle et prime majoritaire. La spécificité de ces élections est qu’elles visent à constituer une représentation régionale… tout en ménageant la représentation des départements. Cela se manifeste dans la structuration des listes, et donc des bulletins de vote, et dans le mode de répartition des sièges.
La structuration des listes
Le scrutin porte sur des listes complètes et bloquées. Cela signifie que chaque liste doit présenter un nombre de candidates et de candidats égal au nombre de sièges à pourvoir, et que les électeurs et électrices ne peuvent apporter aucune modification à cette liste (on ne peut ni rayer des noms ni en ajouter ni modifier l’ordre des noms).
Conformément à l’objectif de préserver la représentation des départements, chaque liste est constituée d’autant de « sections départementales » qu’il y a de départements dans la région. Une section départementale est un peu comme le tiroir dans une commode : un tiroir pour les pantalons, un tiroir pour les pulls, un tiroir pour les ours en peluche…
Le bulletin de vote reste bien identique quel que soit l’endroit où l’on vote dans la région : l’ensemble des sections départementales doivent y figurer. Par exemple, pour l’élection dans les Hauts-de-France, chaque liste devra indiquer sur son bulletin qui se présente dans l’Aisne, qui se présente dans le Nord, et ainsi de suite. Le Code électoral fixe le nombre de candidats et de candidates devant composer chaque section départementale des listes.
Chaque section départementale est composée alternativement d’un ou d’une candidate de chaque sexe.
La présentation en sections départementales rend délicate la mise en avant d’une tête de liste aisément identifiable par les électeurs, ce que des parlementaires avaient reproché à la mesure adoptée en 2003. Mais cela a été validé, et le Mémento du candidat édité par le ministère de l’Intérieur indique comment respecter l’obligation d’indiquer qui est tête de liste.
Une fois les listes composées et les bulletins mis en forme, le scrutin peut avoir lieu. Il se décompose en deux phases répondant chacune à un objectif propre.
Première phase : l’accès au conseil régional et le dégagement d’une majorité politique
Le scrutin se tient à l’échelle régionale. La liste arrivée en tête obtient automatiquement 25 % des sièges. Une fois cette « prime » octroyée, le reste des sièges est distribué entre toutes les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés, y compris la liste arrivée en tête. La répartition se fait à la proportionnelle (si les comptes ne sont pas ronds, on applique la méthode dite “de la plus forte moyenne” pour attribuer les sièges restants).
Prenons une région fictive où cinq listes s’affrontent pour se partager 100 sièges. La liste “Surlignons la région” arrive en tête avec 54 % des suffrages. La liste “Vive le crayon” obtient 22 %, “Couleurs Pastel” obtient 15 %, “Front multicolore” obtient 5 % et “Vivre aquarelle” obtient 4 %. Comme elle est arrivée première, “Surlignons la région” reçoit d’emblée 25 sièges grâce à la prime majoritaire. Les 75 autres sièges sont répartis entre toutes les listes, sauf « Vivre aquarelle » qui n’a pas atteint les 5 %. Ainsi « Surlignons la région » reçoit 43 sièges en plus des 25 déjà obtenus, “Vive le crayon” en reçoit 17, “Couleurs Pastel” en remporte 12 et “Front multicolore” en gagne 3. Pour reprendre notre métaphore, on obtient ainsi la taille de la “commode” de chaque liste encore en lice.
Ce système est destiné à faciliter la constitution d’une majorité au conseil régional, sans pour autant écarter la diversité. Il est comparable au système des élections municipales pour les communes de 1 000 habitants et plus, à ceci près que la prime majoritaire est moins écrasante, puisqu’elle est de 50 % dans ces communes.
Ménager la représentation des départements au sein des régions suppose une seconde phase.
Seconde phase : la répartition des sièges au sein de chaque liste entre sections départementales
Cette seconde phase n’a aucun impact sur le poids respectif des listes et donc sur l’équilibre politique au sein du conseil régional.
Les sièges attribués à chaque liste sont répartis entre les sections départementales qui la composent. Il s’agit de savoir, à l’intérieur de la « commode » de chaque liste, dans quel tiroir on doit piocher les personnes qui figuraient sur la liste. Cette répartition se fait au prorata des voix obtenues par la liste dans chaque département.
Ainsi, il n’est pas tout à fait exact de dire que l’on vote pour les conseillers régionaux “de son département”, comme on a pu l’entendre sur une chaîne d’information en continu. On peut voter pour la liste “Surlignons la région”, ce qui fera monter le score global de cette liste au niveau régional. Si elle a réuni moins de voix dans notre département par rapport aux voix qu’elle a obtenues dans les autres départements de la région, il est possible qu’aucun candidat ni aucune candidate de notre section départementale ne soit élu(e). Notre voix aura toutefois pu aider cette liste à remporter plus de sièges dans d’autres départements puisque les scores entre listes sont appréciés au niveau de la région et que notre liste peut en plus bénéficier de la prime majoritaire si elle arrive en tête. Pour les mêmes raisons, dans une section départementale donnée, il est possible qu’une formation se voie attribuer plus de sièges qu’une autre alors qu’elle a obtenu moins de voix dans le département correspondant.
Une complexité assumée, conforme à la Constitution
Le Conseil constitutionnel a estimé que les objectifs poursuivis par le Parlement lorsqu’il a mis en place ce système pouvaient être regardés comme d’intérêt général : opérer une conciliation “entre la représentation proportionnelle dans le cadre d’un vote régional, la constitution d’une majorité politique au sein du conseil régional et la restauration d’un lien entre conseillers régionaux et départements”. Il a jugé que malgré sa complexité, ce système ne porte pas atteinte au principe d’accessibilité et d’intelligibilité du scrutin, à condition qu’il soit expliqué aux électeurs.
Si une liste obtient la majorité absolue des voix (50 % + 1 voix) au premier tour, les deux phases ci-dessus s’appliquent et il n’y a pas de second tour. Qu’en est-il autrement ?
Les règles en cas de second tour
Si aucune liste n’a atteint la majorité absolue, un second tour doit se tenir une semaine après. Seules les listes ayant réuni au moins 10 % des suffrages exprimés lors du premier tour peuvent se présenter à ce second tour. La loi prévoit également les cas dans lesquels une seule liste atteint ce seuil ou bien, cas de figure moins probable, si aucune liste ne l’atteint.
La fusion de listes est possible, mais uniquement entre des listes ayant réuni au moins 5 % des suffrages exprimés. De plus, cette étape ne doit pas conduire à l’explosion des listes : les candidates et candidats souhaitant se maintenir au second tour doivent provenir d’une liste qui ne se présente pas au second tour. De plus, celles et ceux qui figuraient sur une même liste au premier tour ne peuvent figurer au second tour que sur une même liste.
La règle de parité entre les sexes s’applique de la même manière qu’au premier tour.
À l’issue du vote, la liste arrivée en tête bénéficie de la prime majoritaire de 25 % des sièges et les règles expliquées ci-dessus s’appliquent pour la répartition des sièges.
Le mode de scrutin des élections régionales combine donc classicisme et compromis politique, ce qui ne va pas nécessairement dans le sens de la clarté !
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