Élection présidentielle et temps de parole

Création : 6 novembre 2021
Dernière modification : 24 juin 2022

Auteur : Alexandre Fournil, master de gouvernance territoriale, Université Grenoble Alpes et Sciences Po Grenoble

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur, Université Paris-Saclay

Le temps de parole d’un candidat comprend l’ensemble de ses interventions ainsi que celles de ses soutiens (sont considérés comme soutiens toutes les personnes appelant explicitement à voter pour le candidat). Mais il ne doit pas être confondu avec le temps d’antenne, qui correspond à l’ensemble des interventions du candidat et de ses soutiens ainsi que l’ensemble des séquences lui étant consacrées, sauf si ces dernières sont explicitement défavorables. 

Bien appréhender les règles encadrant ce temps de parole des candidats et plus généralement des personnalités politiques nécessite de faire la distinction entre différentes périodes précédant le vote. Si on se limite au temps de parole en matière d’élection présidentielle, il existe une graduation en fonction du temps restant avant l’élection.

Contrôle du temps de parole durant la période préliminaire, juste avant la campagne officielle

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a dégagé deux périodes avant la campagne officielle, dont la première est dite “période préliminaire”. Par délibération du 6 octobre 2021, le CSA a fixé les dates : du 1er janvier  au 7 mars 2022. Durant cette période préliminaire, le principe en vigueur est celui de l’équité : les médias donnent accès aux plateaux télé et aux studios radio aux candidats en fonction de leur représentativité politique. Le CSA utilise plusieurs critères alternatifs pour aider à apprécier la représentativité d’un candidat. Il se base d’abord sur  les niveaux auxquels les sondages placent le candidat, puis sur son poids politique en fonction des résultats électoraux précédents. 

Durant cette période préliminaire, les médias désignés par le CSA ont l’obligation de comptabiliser et de transmettre le temps de parole et d’antenne de chaque candidat (déclaré ou présumé), par périodes de 15 jours. Ainsi, pour la période du 1er janvier au 16 janvier, ces médias devront transmettre au CSA ces décomptes au plus tard le 17 janvier. Le CSA, après contrôle, rend ces résultats publics et les transmet aux présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale. 

La seconde période est dite “période d’équité renforcée”. Elle est fixée du 8 au 28 mars 2022. Les candidats doivent bénéficier de “conditions de programmation comparables” selon la loi de 2016 relative à la modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle. Cela signifie qu’aucune différence ne doit être faite dans la programmation, entre “petits” et “grands” candidats. Avant 2016, cette obligation d’équité renforcée n’existait pas : les chaînes de télévision et les stations de radios ne programmaient les “petits” candidats qu’aux heures creuses et/ou durant la nuit. Tous les candidats doivent être programmés à des horaires de grande écoute comme les  matinales. Toutefois, en pratique, on observe toujours une programmation différenciée entre les “petits” et les “grands” candidats… 

Durant cette seconde période sont également renforcées les modalités de contrôle. En effet, les opérateurs audiovisuels doivent décompter les temps de parole et d’antenne non plus par période de 15 jours, mais une fois par semaine. 

Les candidats potentiels : le cas Zemmour

Le CSA prend aussi en compte les candidats potentiels (ou “pré-candidats”) : pour déterminer la capacité d’une personnalité politique à se porter candidat, il existe des indices, tels que la désignation d’un mandataire financier, la recherche active de parrainages ou encore l’exposition publique d’éléments programmatiques. 

Ces indices ont été déterminants dans le changement de statut de l’éditorialiste d’extrême droite Éric Zemmour au regard des règles de temps de parole. Comme l’explique le professeur Romain Rambaud dans un article du 13 septembre 2021, la situation de l’éditorialiste n’était pas “tenable”. La décision du CSA de décompter le temps de parole d’Éric Zemmour était logique au regard des règles encadrant l’équité et le pluralisme politique dans les médias. Éric Zemmour ne s’exprimait plus en éditorialiste mais bien en personnalité politique influant sur le débat national” en imposant même son ordre du jour. Comme le souligne le professeur Romain Rambaud, les critères utilisés par le CSA pour opérer ce changement de statut sont en partie ceux utilisés pour déterminer les “pré-candidats”. Dans le cas Zemmour, la recherche de parrainage et l’agrément de la Commission nationale des comptes de campagnes et du financement politique à l’Association les Amis de Zemmour ont joué un rôle déterminant.       

Le cas du Président de la République

Outre le statut des candidats et candidates présumés, il est nécessaire de faire état du statut particulier du Président de la République. En effet, on distingue les prises de parole “relevant du débat politique” des prises de parole “relevant de l’exercice de sa charge […] ou celles relevant de l’exercice de la présidence du Conseil de l’Union européenne”. Néanmoins, en pratique, cette distinction s’avère être complexe à mettre en œuvre. 

Contrôle du temps de parole durant la campagne officielle

La campagne officielle telle que régie par le code électoral répond à un autre paradigme. Si le principe en période “pré-électorale” est celui de l’équité, le passage dans la campagne officielle exige une égalité stricte, depuis une loi organique de 1962 : “Tous les candidats bénéficient, de la part de l’État, des mêmes facilités pour la campagne en vue des élections présidentielles”. Tous les candidats officiels doivent bénéficier du même temps de parole et d’antenne. Cela vaut pour les interventions médiatiques, mais aussi pour les “clips de campagnes”. Ces derniers devront être diffusés à fréquence égale entre les candidats par les opérateurs audiovisuels.  

Pourquoi la France contrôle le temps de parole et pas d’autres pays ?

Pourquoi la France s’est-elle dotée d’un système de contrôle permanent tandis que d’autres démocraties, telles que les États-Unis ou l’Allemagne, s’en sont abstenues ? Cela tient au principe constitutionnel du pluralisme politique, tiré de l’article 4 de la Constitution de 1958 : “la loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation. Le corollaire de ce principe est donc nécessairement le pluralisme des médias. C’est par une décision de 1982 que le Conseil Constitutionnel a consacré cette “préservation du caractère pluraliste des courants d’expression socioculturels”. En 1986, le Conseil constitutionnel précisait que “le respect de ce pluralisme est une des conditions de la démocratie. Une réforme de la Constitution de 2003 a modifié l’article 34, en prévoyant désormais que “la loi fixe les règles concernant la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias

Il existe donc une véritable police de l’audiovisuel en matière électorale, entre les mains du CSA, chargée d’assurer le respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans les programmes des services de radio et de télévision, en particulier pour les émissions d’information politique et générale (Loi Léotard, 1986, codifiée depuis). Ce contrôle est assez unique dans la mesure où il concerne l’ensemble des médias publics et privés programmant des émissions politiques. En Allemagne un tel contrôle existe mais se concentre sur les médias publics. Cela explique que le CSA ait pu enjoindre à la chaîne privée Cnews de décompter le temps de parole d’Éric Zemmour…

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