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#FactCheck. Économie : peut-on vraiment comparer investissements étrangers et faillites d’entreprises en France ?

Création : 27 mai 2024

Autrice : Lili Pillot, journaliste

Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Sasha Morsli Gauthier

Source : Compte Facebook, 16 mai 2024

Pour critiquer l’action du gouvernement, un internaute compare les 57 729 faillites d’entreprises en France aux 1 194 projets d’investissements étrangers survenus dans l’hexagone en 2023. Si ces données sont exactes, les comparer n’est pas très pertinent, confirment trois économistes aux Surligneurs.

« Pour faire oublier le record du nombre de faillites d’entreprises en France en 2023 (plus de 57 000) la propagande macroniste préfère se concentrer sur les investissements étrangers à venir…soit 1194 !« , s’insurge cet internaute sur le groupe Facebook « À droite sans complexe » dans un post publié le 16 mai, reprenant les propos de Nicolas Dupont-Aignan, député de droite Debout la France.

Sous-entendu, le gouvernement d’Emmanuel Macron occulte délibérément la souffrance des entreprises en faillite au profit des sociétés et investisseurs étrangers.

Il est clair que le président de la République met une certaine emphase sur les investissements étrangers. Au 7ᵉ sommet de Choose France, au château de Versailles le 13 mai dernier, Emmanuel Macron avait annoncé un nombre record de projets d’investissements étrangers. Il y avait bien moins parlé des faillites d’entreprises, c’est certain, mais opposer ces deux données et les comparer, est-ce correct ?

D’abord, il faut noter que les chiffres utilisés sont exacts : 57 729 faillites d’entreprises ont bien été enregistrées en 2023 selon le cabinet Altares, spécialisé dans l’étude des données sur le fonctionnement des entreprises – ce qui coïncide avec les chiffres enregistrés chaque mois par la Banque de France. Et 1 194 projets d’investissements étrangers sur le territoire français ont été recensés selon le baromètre EY de l’attractivité en France.

« Ces deux chiffres n’ont rien à voir »

Pour autant — et indépendamment de ce que l’on pense de la politique économique du gouvernement — « ces deux chiffres n’ont rien à voir » nous confirme la Banque de France. « C’est comme si vous me demandiez de les comparer avec les bronchiolites. Ça n’a rien à voir ! », ajoute Catherine Lubochinsky, professeure d’économie à l’université Paris II Panthéon Assas. 

« L’un regarde le résultat du passé (les faillites), l’autre relève plus de l’impact futur positif sur l’économie (les projets d’investissements étrangers en France) » explique Guillaume Richet-Bourbousse, chef de l’Observatoire des entreprises à la Banque de France.

Concrètement, les deux données se complètent, elles ne s’opposent pas : la faillite n’est pas le contraire de l’investissement étranger, qui lui ne prend pas forcément la forme d’une création d’entreprise.

Pour mieux comprendre, il faut d’abord définir ce qu’est une faillite d’entreprise. À la Banque de France, qui compile les registres des tribunaux de commerce enregistrant les faillites et les actualise tous les mois, « on parle de défaillance d’entreprise quand une entreprise se retrouve en situation de cessation de paiement : soit en redressement, soit en liquidation judiciaire« , explique Guillaume Richet-Bourbousse. En clair, l’entreprise n’a plus assez d’argent pour régler ses dettes.

Rattrape post-Covid et croissance en berne 

À l’heure actuelle, ce niveau de faillites n’est pas anormal, contrairement à l’insinuation alarmiste des posts Facebook. Il est comparable au niveau moyen en 2018-2019.

Pendant la période Covid, ces statistiques avaient drastiquement changé. À partir de fin 2019, les défaillances d’entreprises ont chuté pour n’être « plus que » 27 222 en octobre 2021. Ce cas de figure, exceptionnel, est lié à la période de pandémie de Covid-19. « L’État a mis en place des aides publiques pour maintenir la capacité de production des entreprises et les protéger. Sur la période 2020-2023, on estime qu’on a évité 50 000 défaillances. On s’attendait donc à cette hausse au moins en 2024. Il y a un rattrapage en cours de la période Covid.« , rappelle Guillaume Richet-Bourbousse. Une hausse, oui, mais qui reste dans la moyenne pré-Covid. « Le nombre de faillites dépend de la conjoncture » confirme Catherine Lubochinsky.

À partir de fin 2019, les défaillances d’entreprises ont chuté pour n’être plus que 27 222 en octobre 2021 (source : Banque de France).

 

Un autre facteur conjoncturel explique la récente poussée du nombre de faillites : c’est le ralentissement actuel de l’économie. La Banque de France estime que la croissance sera à 0,8 % sur l’ensemble de l’année 2024, ce qui rend la situation d’autant plus tendue pour les entreprises en difficulté.

Cette récente augmentation de faillites doit forcément être “surveillée”, convient Guillaume Richet-Bourbousse pour qui ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle, d’un point de vue strictement économique : « En finance, il est important que les entreprises les moins productives sortent du tissu économique. Il faut libérer les ressources pour de nouvelles entreprises, même s’il y a un coût humain à ne pas négliger » rationalise-t-il.

Investissements directs étrangers : relai de croissance

Au même titre que la sortie de circuit des entreprises défaillantes serait nécessaire, l’arrivée d’investissements étrangers serait bénéfique à l’économie, selon Guillaume Richet-Bourbousse : « Ça va tirer la croissance économique vers le haut, créer de l’emploi sur le territoire français de manière pérenne. » « C’est un indicateur d’attractivité de la France et donc de son dynamisme potentiel » complète Catherine Lubochinsky.

Encore faut-il savoir de quoi il s’agit. Quand on parle d’investissements étrangers, on parle la plupart du temps des investissements directs (IDE). Ces flux de capitaux venant de l’étranger peuvent prendre la forme de créations d’entreprises, mais on parle aussi d’IDE quand un investisseur étranger achète des parts (des actions par exemple) dans une entreprise française à hauteur d’au moins 10 % du capital de cette entreprise. À partir de ce seuil, le Fonds Monétaire International (FMI) considère que l’investissement est « durable » et que l’investisseur gagne un droit de vote et de décision au sein de l’entreprise.

Contrairement aux investissements non directs ou dit de portefeuilles, plus volatiles, les IDE sont « un relai de croissance future« , explique Guillaume Richet-Bourbousse. En 2022, 39 773 emplois auraient été créés grâce aux IDE, selon le baromètre EY, c’est un tout petit peu plus qu’en 2022 (+4 %). Bien que le nombre de projets sur le territoire, lui, ait baissé (1194 projets en 2023 contre 1259 en 2022), la France reste le pays européen le plus attractif en termes d’investissements directs étrangers.

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